Le cinéma d’horreur des années 2000 a parfois mauvaise presse auprès des aficionados du cinéma de genre. Il faut dire que la décennie durant laquelle j’ai pu grandir fut le théâtre d’expérimentations d’un type de film qui allait devenir un moyen pour les grands studios de ne pas trop dépenser, et de maximiser leurs recettes : les remakes. Faites le test auprès de vos connaissances fans de cinéma de genre (si vous en avez, ça ne court pas les rues en France), iels vous diront que le cinéma d’horreur des années 2000, se limite seulement à recycler les grandes franchises à succès du passé, sans aucune once de création artistique. Un tel discours pourrait presque être recevable, à condition de balayer à coup de mauvaise foi un large panel de films créatifs qui sont venus donner un second souffle au cinéma de genre. Il n’y a qu’à regarder chez nous, les années 2000 furent une décennie clé pour le cinéma de genre français. Irréversible (2002), Haute Tension (2003), Sheitan (2006) sans oublier la Sainte Trinité Martyrs (2007), Frontières (2007), À l’intérieur (2007).
L’ensemble de ces œuvres montre une nouvelle facette de l’horreur, et surtout une nouvelle manière de la mettre en scène. Une approche radicale, souvent taxé de « à la française » qui vient prouver que le cinéma de genre n’a pas encore fait ses adieux auprès de son public. Si on souhaite sortir des productions françaises, on peut également montrer l’excellence du cinéma horrifique des années 2000 au travers de films cultes comme Morse (2008) qui vient redonner un souffle au sous-genre du film de vampires. Les films de zombies novateurs sont également au premier plan des sorties de cette décennie avec l’excellente comédie horrifique Shaun of the Dead (2004), le très pessimiste 28 Days Later (2003), ou le très réussi Zombieland (2009).
Toutes ces productions horrifiques révèlent une véritable créativité qui ne s’est pas estompée depuis les années 80 comme le dirait mon grand-père sénile ou l’ado boutonneux·se fan de Stranger Things, ces œuvres des années 2000 s’inscrivent dans un renouveau de l’horreur et de ses codes, pour répondre à un nouveau public, et aux changements politiques, économiques et sociaux qui bouleversent alors le monde. Parmi l’ensemble de ces longs métrages, une question m’est venue comme une sorte de révélation. Et le body horror dans tout ça ? En outre si les productions des années 2000 viennent mettre à jour les codes de l’horreur dans de multiples sous-genres (home invasion, found footage, films de monstres) où peut bien se placer cette facette du cinéma de genre qui m’est si chère ? Eh bien découvrons cela autour d’une petite sélection !
Hostel (Eli Roth, 2005)
En 2004, un film à petit budget sobrement intitulé Saw va venir mettre un coup de pied dans la fourmilière du body horror en proposant un film d’horreur policier nerveux, au montage carrément frénétique, et aux multiples pièges sanguinolents. Loin d’être encore la saga la plus pognon de l’histoire, Saw vient inspirer tout un pan d’artistes qui vont donner un second souffle à un pan bien précis du body horror : le torture porn. Parmi ces films sulfureux et chargé en hémoglobine, notre chère Hostel se fait une place de choix. Eli Roth réalise un métrage violent et outrageusement sombre, à l’ambiance crade et poisseuse. Aucun procédé gore ne manque à l’appel : décapitation, égorgement, œil arraché, tout est bon pour passer un bon moment en famille devant Hostel. Eli Roth décomplexifie une violence et fait de long métrage un carnaval d’hémoglobine dont le scénario et l’écriture des personnages résident sur un simple post-it. Ainsi avec Hostel on revient au plus profond de l’essence même de l’horreur : déranger son public et surtout jouer avec ses nerfs.
Teeth (Mitchell Lichtenstein, 2007)
Le postulat de Teeth représente parfaitement cette dénonciation d’un puritanisme américain qui dans sa restriction des libertés individuelles devient parfois une véritable parodie. Le postulat de Teeth est vraiment intéressant, encore plus l’est sa transposition à l’écran : Dawn est une adolescente qui essaie tant bien que mal de contenir sa sexualité naissante en étant une des membres les plus actives du club de chasteté de son lycée. Étrangère à son propre corps, la prude découvre que son vagin a la particularité d’avoir des dents. On pourrait être tenté de rire face à un tel résumé, mais je vous rassure, Teeth est vraiment un bijou d’écriture et de maîtrise cinématographique. Dénonciation de l’Amérique conservatrice, Teeth est un doigt d’honneur aux « bonnes » mœurs et à la morale, et agréablement parsemé de symboles bibliques en tout genre. Le symbolisme est teinté d’un humour parfois burlesque que Dawn, personnage principal, arrive à véhiculer avec merveille. Son vœu incessant de chercher à conserver sa virginité amène à un comique de situation efficace et vraiment satirique. Rempli de candeur, mais à la fois violent dans ses quelques scènes horrifiques, Teeth est une ode à la liberté sexuelle des femmes et un énorme doigt d’honneur au puritanisme américain.
Exte (Sion Sono, 2007)
Bon là on est face à un mastodonte du body horror des années 2000, et il fallait bien que cette œuvre soit signée Sion Sono. Probablement l’un des cinéastes les plus déjantés de sa génération, Sion Sono prouve encore une fois avec Exte qu’il est d’une créativité sans limite. Toute l’originalité de Exte peut être résumée au travers de ce simple résumé : lors d’une inspection, des agents des douanes découvrent le cadavre d’une jeune fille dont la chevelure continue de pousser. Et si l’élément central cette fois d’un film de body horror ce n’est plus la chair et le sang, mais la masse capillaire. Il est pour moi assez ironique d’écrire ces quelques lignes sur ce film, moi-même étant dépourvu de cheveux. Créant un antagoniste aussi barré que cynique, Sion Sono donne à son long métrage une touche de film de psychokiller pour mieux détourner un genre dont il modifie les codes sans aucune politesse. Malgré ses airs burlesques, il ne faut pas prendre Exte pour une simple comédie de pacotille. On est face à un film sérieux sur ce qui traite de la place de la parentalité dans la société nipponne, mais également de la violence envers les enfants. Aussi drôle que complexe, Exte est un petit OVNI du body horror à ne pas manquer !
Horribilis (James Gunn, 2006)
Avant de réaliser les très bons Gardiens de la Galaxie et l’exécrable Suicide Squad premier du nom, James Gunn a lui aussi versé dans le cinéma de genre. Et que dire, il nous délivre un film carrément démentiel. Il n’est certes pas exempt de défauts, mais il a au moins le mérite de pouvoir nous proposer une comédie horrifique carrément barrée, ou les situations aussi ridicules que dramatiques s’enchainent à une vitesse frénétique. Rendant clairement hommage au 80’s au travers de ses effets spéciaux « maisons » qui cependant peuvent parfois se révéler désastreux (notamment avec parfois l’utilisation de l’image de synthèse) il est clair que Horribilis n’est pas là pour nous proposer un grand film, mais bien pour nous divertir en toute simplicité ! L’humour potache, voire carrément beauf, par moment fonctionne toutefois, et on se laisse étonnamment prendre au jeu, on reconnait vraiment la folie de Gunn qu’il exploitera de manière beaucoup plus mature dans ses futurs longs métrages, et dans ses collaborations avec Marvel et DC Comics !
Quelques films crasseux des autres décennies
Eraserhead (David Lynch, 1977)
Si je dois évoquer en quelques lignes un des plus grands films de tous les temps, autant vous dire que la tâche ne sera pas aisée du tout. Eraserhead est un film parfait, aussi bien dans sa photographie que dans son ambiance qui est d’une crasse rarement inégalée. Torturé, expérimental, novateur, je pourrais utiliser les adjectifs liés à l’horreur dans toutes les langues, aucun ne pourrait définir assez bien cet OVNI du cinéma réalisé par l’un des plus grands artistes de notre temps. Là où l’horreur est partielle dans la plupart des films et sert à illustrer un propos thématique précis, Eraserhead incarne quant à lui l’horreur absolue, au travers d’une réflexion sur la paternité et la maternité. Ces réflexions trouveront leur point cathartique dans un final tragique qui me traumatise encore.
From Beyond aka Aux portes de l’au-delà (Stuart Gordon, 1986)
En termes de film Lovecraftien réussi, From Beyond tient une place de choix. Le talent de Stuart Gordon dans le domaine du body horror n’est plus à prouver, que ce soit avec son excellent ReAnimator ou bien son très sous-coté Castlefreak. Avec From Beyond, notre chère Gordon réalise son long métrage le plus étrange, on pourrait même dire « psychédélique » de sa carrière. Le réalisateur nous fait étalage de son talent notamment en ce qui concerne la fabrication de créatures gluantes à visqueuses, on assiste en outre à un véritable étalage d’effets spéciaux « faits main » qui ferait pâlir n’importe quel film Marvel et DC Comics. Le film est également généreux que ce soit en matière de gore et d’effets visuels complètement psyché, le mot d’ordre ici est de réaliser un film qui ne se prend guère la tête et qui propose son lot de meurtres et de fluides en tous genres pour satisfaire un public de plus en plus exigeant.
L’Échelle de Jacob aka Jacob’s Ladder (Adrian Lyne, 1990)
Résumer la complexité de ce long métrage serait une insulte à son réalisateur Adrian Lyne, ainsi qu’à l’œuvre dans son entièreté. À ce jour, l’Échelle de Jacob reste pour moi l’un des meilleurs films d’horreur psychologique, que même les meilleures productions de A24 n’ont pu égaler. Dénonçant les effets psychologiques irréversibles de la guerre du Vietnam et de l’abandon des soldats américains rentrés sur le territoire, L’Échelle de Jacob couvre son film d’un drap politique pertinent et cauchemardesque. Il transpose l’enfer du Vietnam au sein de cette jungle urbaine qu’est une mégalopole américaine. On suit un homme torturé, en proie à une folie que personne ne comprend et ne comprendra jamais, le nihilisme imprègne cette œuvre pessimiste ou l’homme est montré dans toute son horreur et ses faiblesses, baignant constamment dans une photographie grisâtre.
Antiviral (Brandon Cronenberg, 2012)
Il n’est pas étonnant de voir le fils de David Cronenberg marcher dans les pas de son paternel. Toutefois, ne faisons pas l’erreur de penser qu’il s’agit au travers de sa filmographie de seulement copier la forme et le fond de ce dernier. Avec Antiviral, Brandon Cronenberg nous propose à la fois un body horror entre un exercice de style et une satire du monde médical. Pour cela le jeune réalisateur s’est entouré de professionnels compétents, notamment la personne de Caleb Landry Jones qui ne laisse pas indifférent grâce à sa performance hors du temps ! Le scénario est cependant le plus grand défaut du film, ce dernier se veut trop complexe et devient de plus en plus lourd au fil du visionnage. Heureusement, la bande-son, composée surtout de son métallique et strident, retient toute notre attention et contribue à la patte expérimentale du long métrage. En bref, Antiviral se révèle hypnotique et aboutit dans sa démarche à la fois visuelle et sensorielle, et fait de Brandon Cronenberg un réalisateur à suivre.




















































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