Il était une fois, dans un royaume lointain, une créature fort déplorable, si déplorable que ni Dieu ni le Diable ne pouvaient revendiquer sa création. Ses origines demeuraient un mystère insondable, inconnu des mortels comme des êtres divins. Au dernier grand conseil des sages, son sort n’avait pas pu être décidé, tant sa nature était mystérieusement indestructible. La créature ne semait rien de bon, mais dans sa maladresse grotesque, elle échouait également à causer de grands maux. Pires encore, ses rares ravages ne survenaient que lorsqu’on tentait de la pourchasser. Pour vous prouver la véracité de mes paroles, laissez-moi vous narrer la première et la dernière tentative pour capturer et éliminer cette créature.
Il y a des siècles de cela, les villageois furent les premiers qui essayèrent de s’en débarrasser, car la créature perturbait sans cesse le travail de leurs champs dorés. Une nuit, ils suivirent la créature de loin, quand celle-ci traversait maladroitement la récolte de blé, pour aller Dieu sait où, comme d’habitude. La nuit, armés de fourches et de torches, ils s’élancèrent à sa poursuite. La créature était au milieu du champ, bougeant paresseusement avec le vent, son pas quasiment à l’arrêt. Aveuglés par la colère, les villageois l’attaquèrent furieusement, la transperçant et la brûlant sans pitié. Pourtant, à quelques toises de là, ils aperçurent une silhouette marchant lentement vers l’horizon. Ils regardèrent de nouveau vers la présumée créature qu’ils avaient tuée – rien qu’un épouvantail. Ils regardèrent la créature encore une fois. Elle était si loin… Une vague lourde de fainéantise et fatigue s’empara d’eux. Et en soupirant, ils abandonnèrent.
La créature poursuivit son chemin, jusqu’aux cours des nobles, où elle a causé autant d’inconvénients remarquablement enquiquineurs que parmi les hommes simples. Les aristocrates de la cour portèrent plainte au roi, qui ignora, dubitatif, le sujet jusqu’à ce que la créature réussisse à s’infiltrer dans le palais pendant un bal et parvint à casser le grand miroir du salon, large de trois toises carrées. Le roi enragé ordonna de pourchasser la créature et de l’exécuter publiquement. Elle fut capturée près de la forêt, déguisée en habits royaux volés qui couvraient son visage, et s’était battue sans relâche contre les gardes. Sur le port d’exécution, son esprit obscurci par la colère, le roi même souhaita réaliser l’exécution, et avec toute sa force, il a fait tomber la hache sur son cou. Son souffle lourd, il regarda pour un instant devant lui. Dans le point de l’horizon, il aperçut une figure en cape brune. Il leva la tête qu’il vint de décapiter et regarda avec horreur. C’était son fils, censé être rentré depuis son pèlerinage, trop affaibli par son voyage pour se défendre et pour révéler son identité. Avec le cœur lourd et plein d’angoisse, il regarda encore une fois l’horizon. La créature était loin. Une vague de faiblesse et fatigue s’empara de lui. Et soupirant, il abandonna.
La créature poursuivit son chemin et fit des ravages parmi les villages, cités et cours royales. Le problème prit tellement d’ampleur que les sept souverains du monde se décidèrent à déclencher une guerre contre la créature. Des espions furent envoyés découvrir la localisation de la créature, et mettre en place des obstacles pour la conduire vers les fosses de la Grande Montagne. Une fois entre les passages étroits des monts, les sept armées se lancèrent dans la bataille dans le couloir en roche. Des minutes passèrent. Des heures passèrent. Les armées avançaient. Mais l’opération durait trop longtemps pour un tel assassinat. Les sept généraux regardaient depuis le sommet de la montagne et ils s’en rendirent compte en pleine horreur que leurs armées avançaient dans une fosse inconnue précédemment. Ils appelèrent désespérément leurs armées et regardèrent l’action à distance. En sortant d’un autre couloir, dont les stratèges oublièrent de tenir compte, la créature trainait. Elle était loin. Ils regardèrent leurs armées dépourvues d’hommes et de ressources. Une vague d’urgence et de fatigue s’empara d’eux. En soupirant, ils abandonnèrent.
La créature poursuivit son chemin et, dans le chaos qu’elle avait causé, elle attira l’attention de la Faucheuse. Préoccupée de l’équilibre dans le monde, elle fut agacée par toutes les morts douteuses causées par la créature. Elle se décida à la poursuivre. Une nuit funeste, sans lune et sans étoile, la Faucheuse s’approcha de la créature. Elle leva dans l’air sa faux et se prépara à la frapper quand, soudainement, la créature trébucha et tomba. Juste là, la Faucheuse laissa son arme tomber avec toute sa force de maîtresse de la mort, et, à la place de la créature, l’arme tomba sur un rocher et sa lame se cassa en deux. Stupéfiée, elle regarda sa faux et puis la créature, qui était maintenant en route. Elle était déjà assez loin. Une vague d’exaspération et de fatigue s’empara d’elle. Et en soupirant, elle abandonna.
La créature poursuivit son chemin, cette fois sous l’observation de Dieu, surpris du désordre causé par la créature. Supplié par la Faucheuse, il accepta d’arrêter la créature et descendit vers elle pour la bénir. Sous sa cape brune, un vieux vagabond s’éveilla et remercia Dieu pour la bénédiction, qui lui rapporta son pied amputé. Content, mais mis mal à l’aise par un sentiment d’incomplétude, Dieu regarda derrière le vagabond et vit la créature, qui disparut d’un coup dans la forêt. Dieu se mit à la rechercher, et à chaque fois qu’il pensait l’avoir trouvée, il bénit par accident une personne sans abri vêtue d’une cape marron. Beaucoup se remirent d’incurables maladies, mais Dieu échoua toujours à sauver la créature. Une vague de défaite et de fatigue s’empara de lui. En soupirant, il abandonna.
La créature poursuivit son chemin. En tout ce temps, le Diable l’avait suivi de près, en rigolant à toutes ses farces et à sa chance inégalable. Il pensait l’absorber dans son armée d’esclaves, mais la défaite de Dieu l’inquiéta profondément. Si cette créature était assez rusée pour tromper Dieu, qui dit que le Diable pouvait lui faire confiance ? Et, face à une opposante digne, le Diable décida de la tuer. Il suivit la créature et lui prépara un piège comme seul le Diable pouvait en préparer, dont personne et rien ne peut s’échapper. La créature passa. Le Diable la regarda malicieusement et ricana. Elle s’approcha du piège… et le passa sans déclencher le moindre mécanisme. Le Diable mira, perplexe, sur la scène et la créature s’éloigner. Il s’approcha de son piège et le contempla avec attention, en essayant de deviner sa faute. D’un coup, le piège se déclencha et le Diable finit pris dans son propre piège. La tête en bas, suspendu dans la cage, il regarda la créature. Une vague d’embarras et de fatigue s’empara de lui. En soupirant, il abandonna.
Et ainsi, la créature se perdit dans les méandres du monde, ses ravages témoignant de son passage. Les sages racontent que toute personne frappée d’une sottise inexplicable a probablement croisé la créature. On dit qu’elle a perdu sa forme physique et se manifeste désormais comme un sentiment intense, se propageant ainsi plus facilement. Aucune défense totale contre elle n’est connue, et il semble que résister aux impulsions étranges soit la seule manière de ne pas devenir sa victime…

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