Au nord de l’Espagne, dans un village désert de la froide Galicie océanique, la vie traîne dans le temps, figée par un sort de malédiction, une espèce de trou dans le continuum temporel. Les statues humaines, jadis des personnages vivaces du quotidien du village, sont glacées, perdues dans leurs pensées et condamnées à remâcher à jamais, toujours ces quelques phrases. Profondément mélancoliques et angoissé·e·s, anticipant la désolation imminente de leur village et blâmant de présumé·e·s coupables, les habitant·e·s ont oublié eux et elles-mêmes depuis quand ils n’ont plus bougé. Une seule chose est certaine : un évènement de proportions cataclysmiques s’approche, et il n’y a rien à faire contre ce destin. 

Cette élusive histoire d’une heure et 24 minutes est présentée pour la première fois en 2020 par le réalisateur galicien Lois Patiño. Elle s’intitule Lúa Vermella (Lune rouge) et est le premier de ses trois films dirigés jusqu’à présent. En 2022, Patiño met en scène El sembrador de estrellas (Le semeur d’étoiles) et l’année suivante Samsara, deux films qui ont connu une belle appréciation des critiques et qui montre la vision unique et prometteuse du jeune cinéaste d’Espagne. 

Villageois bloqué en sur la côte en Lúa Vermella
Un villageois oublié par le temps, noyé dans ses pensées, immobile

Récit transformateur à teinte lovecraftienne

La Galicie est perçue dans la culture espagnole comme un espace mystique, marqué par la présence iconique des sorcières. Elles ne manquent pas du film, mais elles transversent l’image stéréotypique de lanceuses de sorts et de divinatrices. Les sorcières, les seuls personnages actifs du métrage ont un rôle protecteur, les sages qui savent naviguer le terrain du village accaparé par la maladie mystérieuse. Elles préparent la population fantomatique pour le passage de l’autre côté avant la calamité. 

La cause du désastre est inconnue. Serait-elle la pierre étrange apparue sur la falaise et pensée d’apporter du guignon aux marins ? Serait-elle la vieille sorcière ayant perdu son esprit après la perte de son fils en mer et qui a fait un rituel pour le ramener du pays des morts ? Les pensées ambiguës et contradictoires des personnages sont la seule manière dont le public apprend l’histoire et le contexte du film. Ainsi, on sait à peine quel évènement a mené à quelle conséquence et le principe de la différence entre causalité et corrélation est en plein effet. 

Quoi qu’il en soit, quelque chose de sombre dans les eaux s’enrage et fait remonter le sang de la mer, en noyant le village. Une présence méconnue, jamais visible dans le cadre, possiblement le fils de la vieille sorcière, hante les plans, le personnage in absentia étant le seul qui bouge et parle en même temps. L’arrivée de cette entité prévoit les évènements insolites et impies à s’accabler sur le village.

Sorcière en train de préparer un rituel
Une sorcière se prépare pour un rituel

L’image des tragédies humaines home-made 

Le film rappelle de la passivité humaine, témoigne aux catastrophes du monde, mais paralysée, incapable et/ou réticente à agir. Les pensées, les discordes internes, les jugements et les théories du complot ont pris plus d’ampleur que l’action, la détermination. L’acceptation amère ou sans intérêt du destin perçu comme inévitable des villageois·es est reflétée l’engourdissement de la population envers les problèmes sociopolitiques qui tourmente la Terre, et qui menace à l’échelle mondiale les droits humains, la qualité de vie et l’intégrité de la nature. 

Les villageois·e·s restent immobiles dans leurs positions, dans leur village, n’étant même pas conscient·e·s de la possibilité de fuir, de l’abandon du lieu vers d’autres meilleurs endroits. Comme les citoyen·ne·s lambda de nos jours, iels sont tellement coincé·e·s dans leur village, dans leurs rôles, dans ce système, qu’iels ne se rendent même pas compte de l’existence d’une salvation, d’un autre mode de vie. Même si la vie autour d’eux et elles poursuit son cours à travers la nature encore verte, iels sont complètement engourdi·e·s et inconscient·e·s du sens et de l’existence de leur propre vie. 

La lune s’approche de la terre en Lúa Vermella
Le cataclysme est sur le point de s’accomplir

En dépit des nombreuses variantes d’échappatoire, ce sont les forces naturelles extérieures, représentées par les sorcières, qui viennent au secours des humain·e·s. Pourtant, ce sauvetage est synonyme de mort et d’oubli, de l’anéantissement de l’élément humain qui ne serait pas capable de témoigner aux désastres qu’il a infligés sur la Terre et qu’il n’a pas osé arrêter. C’est un destin beaucoup plus doux qu’attendu pour ceux et celles qui avaient le pouvoir de lutter contre le désastre, mais le message et clair.

Au fond, la vie humaine, c’est aux humains de la régler. La tragédie humaine est encerclée par un univers pour lequel la valeur de la vie humaine ne comporte pas d’importance particulière. Les humains sont seulement préparés, plus ou moins, pour la Fin. L’univers accepte et accueille nos décisions, les bonnes autant que les mauvaises. Et alors, nous avons que nous ne pouvons nous sauver véritablement.

Doué d’une très belle imagerie, d’une histoire mystérieuse et des connotations sociales d’une grande relevance, le film de Lois Patiño surgit de la mer cinématographique, mais pas comme le monstre menaçant de Lúa Vermella. Il s’agit d’une huître cachant une perle, remontant à la surface et rappelant des jeunes talents prometteurs de la création cinématographique et de l’industrie du cinéma hors Hollywood.   

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