Disponible sur Disney +, Fresh (2022) est un thriller américain écrit par Lauryn Kahn et réalisé par Mimi Cave. Avec son harmonieux acting entre improvisation et dialogues écrits, le film nous balance dans la mésaventure sanglante de Noa. La jeune femme cherche à rencontrer l’amour via des applis de rencontres. Désespérée par les dick pics et ses dates avec les misogynes habituels, Noa fait finalement la rencontre de Steve, un homme charmant et drôle qu’elle croise au supermarché du coin. Le feeling passe bien, la discussion s’annonce intéressante. Iels se donnent alors rendez-vous et finissent dans une belle maison éloignée de la ville que l’homme utilise pour son travail. Une soirée romantique s’offre alors au duo et iels entament une relation amoureuse. L’alchimie entre Daisy Edgar-Jones et Sebastian Stan fait de cette première partie de film, une comédie romantique qui aurait pourtant pu se montrer adorable. Le générique apparait ainsi au 1/3 de l’œuvre et on sait qu’il y a un HIC. C’est bien trop beau pour être vrai ! Très rapidement, le film change de ton. Noa se rend compte qu’elle a été droguée et s’effondre sur son partenaire. D’une façon terriblement violente, la femme va se rendre compte que Steve n’est pas le mec cool qu’elle espérait. Enchainée dans un sous-sol lumineux et minimaliste, Noa apprend de la bouche de son ancien amant qu’il va littéralement la bouffer. Le boulot du mec ? Découper (exclusivement) des femmes pour des blindax aux appétits cannibales et aux fantasmes assez particuliers afin d’en envoyer des morceaux sous vide aux quatre coins du monde. Parfois comiques, des dialogues d’un naturel déroutant viendront alors ajouter du réalisme à cette situation si improbable. Fresh bascule si rapidement dans le thriller horrifique aux étapes de plus en plus sanglantes et malaisantes qu’il explose comme une bombe au visage.

Avec des gros plans de ces bouches milliardaires qui sont heureuses de goûter à une saveur que « les autres ne connaissent pas », Fresh dépeint une consommation délirante, une marchandisation des corps, un trafic humain qui ne concerne que « les 1% des 1% des plus riches » pouvant se livrer au cannibalisme dans la plus grande discrétion. Une critique d’une élite dominante, essentiellement masculine, se partageant des bouts de femmes esseulées et piégées dans ce huis clos qui ne leur convient pas. En ce sens, les clients de Fresh rappelle la communauté bourgeoise de Martyrs (Pascal Laugier, 2008) mettant en scène une jeune femme en grandes difficultés qui se retrouve littéralement torturée et dépecée pour le grand plaisir d’une élite curieuse de savoir ce qu’il y a après la mort et qui « peut tout simplement se le permettre ». Sans grande surprise, l’accent féministe et émancipateur de Fresh est posé dès le début. Certains aspects de la société de consommation et du patriarcat sont jetés au public avec une violence désespérante. Comme ils sont envoyés à la gueule de Noa à base de dick pics et d’opinions misogynes sur ce qu’une femme devrait ou ne devrait pas faire de son corps. Une misogynie systémique, habituelle, répétitive et fatigante. Mais Fresh est aussi un film sur le cannibalisme dans son aspect industriel. Loin des zombies sauvages et dévoreurs de chairs, ou des plaisirs gustatifs d’un Hannibal solitaire, l’organisation cannibale de Fresh est une extension de que ce que la jeune femme subit déjà dans son quotidien. Originale, drôle et sidérante, cette œuvre est la mise en scène horrifique du système patriarcal et des rapports au « à la bouche » ainsi que des perceptions du « plaisir » qui en découlent. Grâce à une légèreté stylisée et une once de culot bien placé, il en ressort une merveille du cinéma d’horreur aux personnages complexes et fascinant·e·s.

Cette organisation cannibale dirigée par ces hommes tarés en position de domination économique et sociale est dévoilée de façon très froide, dans des scènes de découpes et de conservations des corps grandiloquentes. Comme pour rappeler l’endroit où Noa a rencontré Steve, les néons blancs se rallument dès lors qu’elle se retrouve à nouveau dans un supermarché, mais celui-ci vend sa chair. Elle se retrouve à la place de la poule, de la vache et devient un produit de consommation afin de satisfaire cette élite représentée par des bouches d’hommes dégustant et mâchouillant de la viande de femmes. Que peut-on faire avec notre bouche ? Du plaisir, de l’amour, de la communication, des discours, des mensonges, de la violence mais aussi de la merde ! Ce « système » absurde a déjà un nom : le patriarcat. Cette pensée un peu farfelue qu’ont certaines personnes de penser pouvoir disposer du corps d’autrui sans un consentement éclairé, la base de toute envie de plaisir et de partage. Et ce, depuis des millénaires. On y voit Steve, le tortionnaire de Noa, persuadé de son amour pour elle, il espère qu’elle « réussisse » à survivre, passe les étapes que lui-même a fixé si la jeune femme souhaite rester en vie. Il lui a fait l’amour et pense qu’elle est même privilégiée d’avoir reçu cette attention particulière. Noa ne voit évidemment pas ça de cet œil et cherche à amasser des informations sur ce qui lui permettrait de s’échapper de ce huis clos patriarcal et dément dans lequel elle est tombée. Des hommes riches et puissants décident de son destin sans qu’elle n’ait son mot à dire. C’est alors qu’elle découvre un mot, un conseil, d’une précédente survivante gribouillé sur la marge d’un magazine que Steve a bien voulu lui laisser. Privilège qu’il ne donne pas à toutes…

Grâce à ce message d’une autre femme qui a vécu la même situation qu’elle, Noa comprend que l’intérêt que lui porte son geôlier est la seule arme dont elle dispose. Entre des scènes de supérettes cannibales, les investigations de Mollie prête à tout pour retrouver sa meilleure amie, ces découpes de la chair en mode Urgences, l’attente de Noa dans sa cellule alors qu’elle discute avec d’autres prisonnières et les « rendez-vous » romantiques durant lesquels elle fait semblant de s’intéresser à la vie de son prédateur, cette comédie horrifique met particulièrement mal à l’aise. L’humour qui rendait au préalable la première partie plus légère à regarder devient plus cynique. Tout roule pour Steve dans son quotidien de salarié du cannibalisme mais son attirance pour la chair humaine depuis sa plus tendre enfance est quelque chose qu’il veut partager avec autrui. Noa saisie cette corde et joue dans les règles. C’est alors que Mollie s’en mêle. Ayant retracé la position du portable de Noa grâce à l’aide d’un pote, Mollie découvre la jolie petite famille de Steve et se fait capturée à son tour. L’épouse de Steve est complice, et elle est une ancienne victime. C’était pourtant bien son petit message dans le magazine qui avait donné espoir à Noa de s’enfuir. Le dernier diner aux chandelles arrive, Steve est sur son 31 et Noa s’assit tant bien que mal dans la chaise étant donné qu’il lui manque ses fesses. Noa goûte la chair et fait semblant de la déguster. C’est déjà ce qu’elle faisait au début du film, assise en face de son date foireux. S’ensuit une danse complice et un regard caméra surprenant. Rappelant l’échange entre les protagonistes de Scare Me (Josh Ruben, 2020) et le public, ce face-à-face est soudainement déstabilisant. C’est là que Noa se décide : elle cherche un moyen d’échapper à ce système, pas d’y contribuer. Fresh tombe alors dans sa dernière partie : une échappatoire solidaire et comique aux multiples final girls.

Fresh est un film d’horreur très moderne qui critique la masculinité toxique et le non-respect du consentement dans toute sa splendeur. La métaphore se tient et le message passe avec un humour burlesque et une violence déshumanisée. Bouffer des culs de nanas, ça se fait pas sans leur consentement ! Le consentement, ça c’est sexy ! On n’est pas au supermarché. Sexualiser systématiquement les gens, en particulier les femmes, et les réifier à une partie de leur corps, c’est un peu la thématique de ce film qui, avec beaucoup de cynisme et d’absurdité, décrit une marchandisation de la chair des autres, de l’élevage intensif à la grande distribution, des réseaux sociaux au harcèlement sexuel, de la mise en scène du corps de la femme dans une société patriarcale et de sa pseudo-obligation à rester « fraiche », et bien sûr, de son objectivisation en différents « bouts ». Des morceaux de chair qui apparaissent alors comme si « consommables » qu’en bon consommateur au sein d’un système capitaliste sans considération envers son environnement, on peut en oublier que le consentement est absolument nécessaire lorsqu’on veut disposer du corps d’un·e autre être humain·e.

Inspirée par le cinéma espagnol et notamment La piel que habito (Pedro Almodóvar, 2011), Mimi Cave décrit des pulsions dans une fable féministe qui met en avant différents problèmes de société. De la déshumanisation des corps au consentement, de l’absurdité du capitalisme à l’inclusivité, des véganismes aux féminismes, Fresh est cette petite bombe politique, burlesque et sympathique à regarder entre potes ! Ces bouches, symboles de ce que l’on dit, de ce que l’on mange, de ce qu’on utilise pour déclarer nos sentiments envers le monde nous dévoilent une consommation malsaine de la chair. Un rapport au sexe, au plaisir et au corps féminin bien métaphorisé par la réalisatrice qui termine d’ailleurs par ce croc de Noa, émasculant sauvagement son agresseur avant de voler au secours des autres survivantes.

Si une nouvelle vague de films de genre aux résonnances féministes (Scare Me de Josh Ruben, ou encore Titane et Grave de Julia Ducournau en tête) commence à inonder nos écrans, Fresh est l’une de ces comédies satyriques qui marque son engagement, le tout dans une atmosphère lugubrement déjantée et laissant une grande place à l’improvisation de l’acting !


Auteur / autrice

  • Syneha Raktajin0

    Elle aime lire, écrire – des phrases beaucoup trop longues –, voyager, jouer aux jeux vidéo, en particulier les RPG Japonais, et regarder des films de genre à gogo, surtout ceux qui donnent des frissons tout partout ! Sorcière au caractère lunatique qui passe du rire aux larmes bien trop facilement, elle se prend à rêver à des utopies à la Star Trek ou encore une romance à la Pocahontas – au détour de la rivière sous un saule pleureur-mamie gâteaux. Son style favori : sa broche du prisme lunaire et ses commandes d’invocation de Gilgamesh tatouées sur sa main gauche.

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