Le commander Riker, l’amoureux utopiste de Star Trek

Capitaine en second de l’Entreprise D, le commander William Riker est connu pour être ce qu’on pourrait appeler un dragueur professionnel. Il faut évidemment replacer le personnage dans son contexte, une société presque parfaite et humaniste du 24e siècle. Les maladies, la misère et la famine ont depuis longtemps disparu grâce à l’avancée sociale et technologique de la médecine, l’invention des synthétiseurs de nourriture et d’objets en tout genre. Terminés la lutte des classes, le capitalisme destructeur, l’exclusion sociale, la destruction de l’environnement, l’exploitation humaine et animale et la misère humaine ! La Fédération des Planètes Unies vit une (presque) parfaite utopie d’égalité, de tolérance, de liberté et de reconnaissance des droits des êtres vivants. William Riker apparaît ainsi comme un polyamoureux respectueux et tolérant, bon-vivant de surcroît, qui fait passer le bien-être de son équipage, ses principes humanistes, le plaisir et l’amour avant toute chose. Tout au long de la série Star Trek: Next Generation (initiée par Gene Roddenberry en 1987), ses diverses amourettes nous montrent l’évolution de l’être humain dans ses modes de pensées et ses perceptions vers toujours plus d’égalité et de liberté d’une société future multiculturelle. Chaque épisode ou presque, très en avance sur son temps (la série ayant débuté dans les années 80), découle de la volonté humaniste et visionnaire du créateur de la saga Star Trek, Gene Roddenberry et des nombreux scénaristes impliqués dans la réalisation de cette utopie à l’écran. Les histoires d’amour de Will Riker symbolisent donc des faits de sociétés, pour certains malheureusement encore d’actualité, qui posent de nombreuses questions éthiques et morales sur la condition des femmes, de l’homosexualité, de la pression sociale et religieuse sur les choix et le conditionnement des individus. Merveilleusement bien mises en scène, elles nous font réfléchir et rêver.

Au fil de la série, le personnage de William Riker a droit à son lot d’aventures inter-espèces puisqu’il charme Acamarienne, Bajorane, Bétazoïde, Humaines, J’naii, Kriosienne, Ktarienne, Malcorienne, Matriarche d’Angel I, Q, et certainement bien d’autres (on ne sait pas ce qu’il fait de son temps libre après tout).

 

L’égalité des sexes dans Star Trek: Next Generation

La relation établie avec Deanna Troi – une demi-bétazoïde née de l’union de l’humain Ian Andrew Troi et de Lwaxana Troi, bétazoïde, et conseillère à bord de l’Enterprise D – a une dimension très progressiste pour son époque. Cette jeune femme est ce qu’on pourrait appeler l’ancienne ex’ toujours présente, sex-friend de surcroît, ainsi qu’une amie fidèle (avec qui le commander Riker finira, par ailleurs, par se marier à la fin de la série en 2379). Elle le conseillera à de nombreuses reprises – notamment au sujet de ses amourettes et coups de cœurs – et n’hésitera pas à poursuivre d’autres relations de son côté. Indépendante et fière, elle apparaît comme une sœur et un soutien essentiel. Une image de la femme libérée, respectée qui sait se faire entendre en douceur. Ses capacités télépathiques de bétazoïdes permettant d’axer le problème et l’intrigue vers des solutions de dialogues et de compréhension mutuelle, les scénarios qui mettent en scène Troi et Riker sont emplis de discussions humoristiques d’une complicité touchante. Affranchie des mœurs conservatrices d’une vieille époque (le 21e siècle, par exemple), Deanna est aussi l’héritière d’une famille aristocratique de la Cinquième Maison de Betazed, planète ayant une culture artistique poussée et système politique xénophile. Égalité des sexes et compréhension mutuelle seront donc les thématiques les plus présentes dans les épisodes mettant en scène ce duo. Deanna gardera notamment son nom de famille lors de son mariage avec le commander Riker, pratique encore peu commune dans les années 1990.

Au cours d’une mission diplomatique, W. T Riker rencontre Maîtresse Beata (épisode 15, saison 1), représentante de la planète Angel One possédant une société traditionaliste matriarcale. Lors de la rencontre de l’équipe de terrain avec les représentants d’Angel One, Beata prend Deanna pour la chef du groupe et lui parle directement. Cette dernière explique alors que le commander Riker est plus élevé dans la hiérarchie de Starfleet qu’elle et qu’il est le représentant de la Fédération, ici-présent. Beata, intriguée, cherchera alors à en savoir plus sur cette curieuse société qui croit en l’égalité des sexes et qui se base davantage sur les compétences des individus. Après avoir enfilé une tenue traditionnelle, Riker se laisse séduire par Beata avant d’échanger leurs points de vues respectifs sur une société régie par le matriarcat/patriarcat.

Dans notre société, ce sont les hommes qui profitent de tous les plaisirs de la vie pendant que les femmes font tourner le monde (Beata à Riker).

Tout en essayant de changer les idées conservatrices de sa nouvelle amante, il explique qu’il y avait une époque lointaine où la Terre connaissait une terrible inégalité entre les sexes, mais que la société humaine avait su se dresser contre ces injustices. Et qu’une culture à l’écoute de tou.te.s ses membres, sans exception, ne pouvait que tendre vers un type de système où les compétences des individus sont plus importantes que leur sexe, leur genre ou leurs origines. Ces propos auront raison de la pensée essentialiste de la dirigeante d’Angel One et donnent l’angle de vue de la pensée constructiviste de la saga Star Trek : l’inégalité entre les sexes et les genres  n’est qu’une production sociale, causée par un système, l’éducation, l’apprentissage des comportements lors de l’enfance, et elle est définie par la culture. Mais toute culture n’est-elle pas en transformation constante ?

 

Les I.A ont-elles droit à l’amour ?

En 2364, le commander Riker fera la rencontre de Minuet (Star Trek: Next Generation, épisode 16, saison 1). Des membres d’une espèce extra-terrestre vivant dans un état de dualité absolue, les Bynars, modifient l’holodeck (programme de réalité virtuelle élaborée) pour capturer en toute discrétion le capitaine Jean-Luc Picard et son second en son sein, le temps nécessaire pour mettre à exécution un plan visant à sauver leur peuple grâce aux capacités de l’Enterprise. Minuet, femme holographique, impressionne Riker au premier coup d’œil par à son réalisme et son intuitivité. La question se pose alors : qui est Minuet et possède-t-elle une conscience ? Riker succombe rapidement à ses charmes. Et lors de ce baiser, le capitaine Jean-Luc Picard entre soudainement dans le programme holographique. Surpris par le caractère de Minuet, il se joint alors à leurs discussions. Une fois la mission des Bynars accomplie, Minuet disparaîtra du programme laissant à Riker et son capitaine un sentiment de perte et de multiples questionnements sur la nature de cette I.A. Cette thématique abordée dans de nombreuses œuvres audiovisuelles de science-fiction, comme c’est le cas dans Blade Runner 2049 (Denis Villeneuve, 2018), renvoie au triste sort de ces êtres, créés pour le plaisir ou le besoin humain qui sont, souvent, anthropomorphisés mais qui n’ont pas les même droits sociaux que leurs créateurs.

En opposition avec d’autres séries ou films tels que les sagas Harlock/Albator (initiées en 1978 par Leiji Matsumoto et Rintaro avec Toei Animation) avec les Humanoïdes de Râ Métal de Maetel Legend (Kazuyoshi Yokota, 2000) et Space Symphony Maetel (Shin-ichi Masaki, 2004) ou encore la saga Matrix (Les Wachowski, 1999) dans lesquelles les androïdes, les aliens mécanisés ou les intelligences artificielles ont une ascendance humaine mais sont soit des consciences humaines téléchargées dans des corps artificiels soit une menace grandissante contre laquelle l’Humanité doit lutter. Ce qui éloigne la thématique des droits et de la perception de la nature de l’I.A ou de l’androïde en tant qu’être sensible. Les Geths de la série de jeux vidéo Mass Effet (Bioware, 2007) dépendent du même questionnement : une intelligence artificielle mérite-t-elle un esprit, une âme ? Bien que d’origine non-humaine puisqu’ils ont été fabriqués par les Quariens avant de se rebeller contre eux dans une sanglante guerre d’indépendance, les Geths possèdent une conscience collective artificielle et ne seront reconnus à juste titre qu’après que l’un d’eux, Légion, ait réussi à communiquer avec le reste de la communauté galactique. Encore plus criant est l’exemple des Borgs de l’univers Star Trek – conscience collective, créée par une espèce à la recherche d’efficacité et de perfection, qui assimile les êtres vivants de la galaxie en prenant possession de leurs corps – le droit à la vie ou la reconnaissance des Borgs restent flous. Se présentant comme des êtres terriblement dangereux, ils ne sont accepter que lorsqu’ils ont perdus le lien avec leur collectif et ont retrouvé leur individualité et leur libre-arbitre c’est-à-dire lorsque le Borg est un individu et non pas une intelligence collective mécanisée.

Pour l’androïde Lal (épisode 16, saison 3), enfant du commander Data, lui-même androïde, qui prendra très au sérieux son apprentissage des mœurs humaines par envie d’être accepter au sein d’un groupe social, le choix de son genre et de sa forme lui est donné traduisant le fait qu’un libre-arbitre lui est octroyé dès le début de son existence. Durant cet épisode, Data devra s’expliquer auprès de Starfleet sur la création de Lal comme s’il s’agissait d’un projet militaire alors qu’il la perçoit comme son enfant, le but de tout être vivant étant la reproduction. Ceci inculqué par son créateur humain. Data devra notamment prouver devant Starfleet que Lal ne doit pas être perçue comme un cobaye mais serait mieux à ses côtés comme n’importe quelle petite fille le serait avec son père, mais que le choix appartient à Lal. C’est ici un combat acharné et un débat intelligent sur la reconnaissance des droits des I.A. Étonnant pour une société spatiale du 24e siècle qui, pourtant, a reconnu l’égalité des sexes et de tous les êtres vivants et sensibles de l’univers ? L’exception est donc faite aux êtres holographiques et aux androïdes dont les droits vont évoluer au fur et à mesure des épisodes et du contexte social changeant au fil des années de production.

 

Le besoin de réciprocité

En 2366, Yuta (épisode 9, saison 3), jeune servante acamarienne de la représentante Marouk, embarque à bord de l’Enterprise dans le but de finir une funeste mission qui dure depuis bien trop d’années. Voyant comment le capitaine en second la dévore des yeux, et sur une suggestion de sa maîtresse, elle se rend dans les appartements du capitaine en second pour lui proposer son corps. Riker, affirmant son féminisme, refuse alors catégoriquement sa réponse soumise, dénuée de sentiment et d’envie et lui explique qu’il préfère qu’ils soient égaux.

– Dîtes-moi ce que vous voulez, William, et je ferai tout ce que vous souhaitez.
– Attendez une minute.
– Je ne comprends pas. Ne voulez-vous pas que je vous donne du plaisir ?
– Pas comme une domestique, je vous ai dis que je préférais l’égalité.
– Même en matière d’amour ?
– Particulièrement en matière d’amour.
(Riker et Yuta).

Yuta, ayant passé tant d’années à essayer de réduire en poussière un clan ennemi au sien, octroyant à cette mission le fait d’être sa seule raison d’exister, en a oublié toute joie, toute envie et accepte difficilement d’être à l’écoute de son propre corps qu’elle perçoit comme un simple instrument capable d’assouvir la vengeance de son clan. Loin de profiter de l’offre de la jeune femme, W. T. Riker se lancera alors dans une discussion sur la réciprocité entre êtres vivants, sur le besoin essentiel de consentement et d’envie pour créer une relation saine.

 

Un amour transgenre

Subversif à son époque, l’épisode 17 de la saison 5 met en scène une société asexuée et transgenre percevant l’acte sexuel comme une coutume obsolète et dégoûtante que la culture J’naii a dépassé depuis bien longtemps – les enfants de cette espèce étant fabriqué.e.s dans des laboratoires et adopté.e.s, par la suite, selon des critères strictes. Travaillant sur un projet commun, Riker et Soren, un.e J’naii, feront connaissance et commenceront à éprouver de forts sentiments l’un.e envers l’autre. Soren avouera alors être un.e des quelques membres de son espèce a encore ressentir du désir sexuel. Néanmoins, sur sa planète, ces personnes présentées comme déviantes sont conduites dans des centres de rééducation qui leur priveront à jamais de toute envie. Soren demande alors à Riker d’être discret au sujet de leur relation. Ce qui n’évitera pas à Soren d’être pris.e en flagrant délit (de bisou) avant d’être conduit.e dans un centre de rééducation (à la Orange Mécanique peut-être ?). Un tribunal est alors ouvert afin de déterminer son degrés de déviance, durant lequel Riker prend sa défense en faisant croire qu’il l’avait forcé.e. Soren entame alors, sans succès, une tirade sur sa nature de femme ressentie depuis son enfance en demandant le droit d’exister selon ses désirs et ses choix. Pris par une folle envie de tirer la personne qu’il aime de ce faux pas, Riker demande de l’aide à son capitaine. Jean-Luc Picard lui rappellera alors la directive première, loi de la Fédération consistant à interdire toute interférence dans le développement des sociétés étrangères et le principe de relativisme culturel. Seul et déterminé à fuir avec Soren, Riker partira à la recherche de son amour qui, pendant ce temps, aura subi un violent lavage de cerveau et lui expliquera son besoin d’être comme les autres membres de son espèce et de se libérer de ses désirs charnels. Effondré par la perte de Soren, le capitaine en second de l’Enterprise D viendra alors chercher conseils et réconfort auprès de Deanna.

Un scénario traitant clairement de la difficulté pour les individus dits différents – par rapport à une norme (inventée et construite culturellement) – à vivre et à exister tels qu’ils sont en réalité par peur d’être rejetés ou perçus négativement par le reste de la société, comme c’est notamment le cas des communautés LGBTQI+, encore en ce début de 21e siècle. La conclusion dramatique de la situation de Soren et le profond attachement d’un personnage principal de la série Star Trek: Next Generation, Riker, à un être non-genré, tout ça dans les années 1980, font de cet épisode une forte critique merveilleusement bien mise en scène de la société humaine du 20e siècle et de ses dérives envers des individus, perçus à tort comme malades/déviants, alors qu’ils ne cherchent que deux choses : la reconnaissance et la liberté. Encore un scénario plein de tolérance et de questionnements philosophiques qui font du commander W. T Riker, et de la saga Star Trek en général, un univers à aborder sans aucune modération !


Auteur / autrice

  • Syneha Raktajin0

    Elle aime lire, écrire – des phrases beaucoup trop longues –, voyager, jouer aux jeux vidéo, en particulier les RPG Japonais, et regarder des films de genre à gogo, surtout ceux qui donnent des frissons tout partout ! Sorcière au caractère lunatique qui passe du rire aux larmes bien trop facilement, elle se prend à rêver à des utopies à la Star Trek ou encore une romance à la Pocahontas – au détour de la rivière sous un saule pleureur-mamie gâteaux. Son style favori : sa broche du prisme lunaire et ses commandes d’invocation de Gilgamesh tatouées sur sa main gauche.

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