Film américain réalisé par Anna Biller, The Love Witch (2016) nous présente les aventures d’Elaine, une sorcière moderne aux rêves romantiques, à la recherche d’un nouveau prince charmant suite au décès de son époux. Une esthétique des années 1960 dans un style quelque part entre la wicca et le new age plonge le public dans un conte de fée qui se transforme pourtant en cauchemar pour l’élu de son cœur.

Grâce à des flashbacks dès le début du film, montrant les souvenirs d’Elaine pensant à son défunt mari, on comprend rapidement que ce dernier n’est pas mort naturellement mais a été empoisonné. Le ton est donné. Au volant de sa voiture, clope au bec, notre sorcière arrive dans la sublime demeure de son amie Barbara et y fait la rencontre de Trish, la décoratrice d’intérieur de ce manoir victorien digne des sœurs Halliwell.

Après une scène d’invocation à la Grande Déesse, Elaine se rend dans une boutique de magie pour vendre certaines de ses bougies et poupées vaudous artisanales. Elle décide alors de partir en chasse, d’utiliser sa volonté pour obtenir ce qu’elle veut et capter l’attention d’hommes qu’elle pense aptes à lui procurer de l’amour. Elle fera alors la rencontre d’un professeur d’université du nom de Wayne, à qui elle prépare une soirée de folie…

The Love Witch a ce côté délirant et audacieux qui rend le film difficile à cerner. Entre aspects comiques, drame psychologique, romance délurée et chasse aux sorcières, l’œuvre nous propulse dans les tribulations d’une femme moderne. Des pauses thé à la peinture, des sortilèges aux conversations avec sa nouvelle amie Trish, Elaine évolue dans son propre monde et transforme la réalité selon son bon vouloir.

Silencieuse, sauvage et directe, Elaine perturbe autant qu’elle attire. Cherchant une moitié prête à l’aimer autant qu’elle peut aimer, elle se retrouve bien plus déçue que satisfaite des relations qu’elle tisse avec les hommes. Fatiguée d’entendre les hommes se plaindre, elle les appellera « pauvres bébés » (poor poor baby) à de nombreuses reprises tandis qu’elle maintient les comprendre bien mieux que les autres femmes. Elaine s’en détourne dès lors qu’ils n’agissent pas en « super mâle », ils deviennent à ses yeux des « petites filles » (such a pussy).

Après avoir fait boire une potion magique à ce « pauvre » Wayne et consommé leur union, l’état du professeur, tombé éperdument amoureux, se dégrade et il décède durant la nuit. Elaine enterre alors son corps à côté d’une potion réalisée par ses soins à base d’herbes, de tampon usagé et de pisse afin qu’iels puissent être réuni·e·s pour toujours. La sorcière doit alors à nouveau se mettre en route pour trouver un partenaire…

The Love Witch possède une ambiance de conte de fée rapidement remplacée par une vérité toute autre. Entre magie sexuelle et utilisation de psychédéliques, notre Love Witch n’a qu’un seul but : trouver l’amour et vivre une vie de magie et de fantaisie. Et Elaine est prête à tout pour l’atteindre et le préserver.

Le regard puissant de Samantha Robinson qui interprète à la perfection l’aura de sensualité et de mystère qui entoure la personnage d’Elaine se trouve être une arme puissante. Manipulation psychologique et intelligence se mêlent alors au charme fou de cette sorcière moderne aux pratiques si particulières. Addicte à l’amour et au rêve, Elaine ne parle que de prince charmant, de fantaisie, de sexe et de sortilège. Elle incarne à la fois l’image de la femme parfaite aux yeux des hommes et de l’amante dévouée jusqu’à ce qu’ils succombent à son pouvoir.

Avec un récit glamour empruntant beaucoup au cinéma classique, The Love Witch est un film d’horreur sur les fantasmes, ceux liés à la sexualité mais aussi ceux d’un amour parfait, intense et inchangé. L’atmosphère magique de cette œuvre, avec de la harpe, des chants de bardes, des pièces de théâtres et surtout la mystique des couleurs du Tarot divinatoire, transforme l’horreur en une fable féministe sur l’amour, les espoirs et les désespoirs qui en découlent. Les mises en scènes, les décors et les costumes qui se situent à mi-chemin entre festivités païennes et soirées hot, le tout avec une imagerie psychédélique des sixties ainsi qu’une certaine esthétique giallo, font de ce film tourné en argentique Format 35 mm une petite perle du catalogue Freaks On à ne pas louper.

Douce et sauvage à la fois, Elaine est l’archétype de la femme fatale mis en scène dans le cinéma des années 1960. Entre recherche d’amour et d’attention, désir intarissable et narcissisme pervers, notre sorcière représente l’image renvoyée à de nombreuses femmes tant dans les injonctions de la société patriarcale à « rester belle » que dans la représentation de la sensualité et sexualité féminines, perçues comme dangereuses et diaboliques. Il met en scène les peurs masculines envers les femmes confiantes et sûres d’elles, le regard masculin, et l’appropriation du corps féminin selon des normes et clichés sociétaux autant qu’il critique le narcissisme qu’il est en mesure de créer. Souhaitant apaiser son égo détruit par sa relation antérieure, elle se considère elle-même comme un objet de désir, un « pouvoir » qu’elle semble être en mesure de contrôler et qui devient alors un puissant outil sur son entourage.

The Love Witch est un film féministe qui sublime le corps féminin autant qu’il perturbe par la violence de ses propos. De par l’inversion des clichés de genre qui fait d’Elaine la chasseresse plutôt que la proie tandis que les hommes ne veulent pourtant d’elle que son corps sans changement d’aspect ni promesse d’engagement, Elaine apparaît comme une jeune femme aussi bien libre, confiante et puissante qu’emprisonnée totalement dans ses névroses et sa dépendance au désir qu’elle suscite à l’instar de son entrée dans l’étrange secte new age dirigée par un vieil homme lubrique, qui pourtant lui a permis de découvrir son « pouvoir » ou ce qu’elle croit l’être…


Auteur / autrice

  • Syneha Raktajin0

    Elle aime lire, écrire – des phrases beaucoup trop longues –, voyager, jouer aux jeux vidéo, en particulier les RPG Japonais, et regarder des films de genre à gogo, surtout ceux qui donnent des frissons tout partout ! Sorcière au caractère lunatique qui passe du rire aux larmes bien trop facilement, elle se prend à rêver à des utopies à la Star Trek ou encore une romance à la Pocahontas – au détour de la rivière sous un saule pleureur-mamie gâteaux. Son style favori : sa broche du prisme lunaire et ses commandes d’invocation de Gilgamesh tatouées sur sa main gauche.

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