Ewart jeta la tête du griffon sur le comptoir. Behor, le tavernier, siffla d’admiration, et quelques clients applaudirent. Même s’ils avaient l’habitude, il était toujours impressionnant de voir revenir Ewart victorieux d’une de ses chasses. Trois jours. Cela lui avait pris trois jours pour débusquer et abattre cette bête. Il avait eu l’information par un garde forestier du village voisin. On n’aurait su dire si ce griffon était dangereux ou même simplement gênant, mais Ewart n’en avait cure. Il aimait chasser pour le geste. Juste pour le sport. Qu’importe la créature, qu’importe le lieu, qu’importe la météo, la traque était sa passion. Il aimait à se lancer ce genre de défi. Ca flattait son égo. Loups, gorgones, hippogriffes, sirènes, farfadets… Il avait déjà affronté et vaincu toute une pléthore de créatures plus dangereuses les unes que les autres. Pas d’or, pas de biens, simplement de la gloire. Cela le satisfaisait. Le simple fait que toute la bourgade d’Ortega et alentours connaissait son nom suffisait à son bonheur. Ewart, le pourfendeur de bête

Il s’installa à sa table habituelle, et rapidement la serveuse vint lui apporter une chope de bière bien fraîche, offerte par la maison. Il lui réclama en sus un morceau de lard et du pain, qu’il lui paya immédiatement avec une étrange gemme luisante. Même si ce n’était pas cela qui le motivait, les créatures sont parfois gardiennes de trésors surprenants…

Behor le laissa en paix le temps qu’il finisse son assiette, mais à peine avait-il avalé la dernière bouchée que le tavernier ne tient plus et s’installa en face de lui.

— Encore une très belle prise mon ami ! Tu es sûr que je peux garder la tête ?

— Je n’ai plus de place chez moi, les murs sont déjà tous ornés ! répondit le chasseur en riant.

— Je te remercie pourfendeur. Connais-tu déjà ta prochaine cible ?

— Pas encore non, on ne m’a rien rapporté.

— Dans ce cas-là, j’ai une information qui devrait te plaire !

Ewart allait porter sa chope à ses lèvres, mais à ces mots, il stoppa son geste et s’avança vers le tavernier en signe d’attention, mais aussi de discrétion.

— Il y a quelques nuits de cela, un forgeron est venu me voir ici à l’auberge. Il avait pour projet d’installer une immense forge dans la montagne, sur le plateau de Mizuta…

— Et je parie qu’il dût s’y résoudre, c’est cela ?

— Exactement ! D’après ses dires, une grotte non loin de l’endroit choisi est habitée par une terrible bête.

— Connais-tu l’endroit exact sur le plateau ?

— Il a simplement mentionné un grand platane au milieu d’une clairière.

— Et sais-tu où je peux trouver ce forgeron à présent ?

— Malheureusement non. Je crois que le pauvre prit si peur qu’il partit installer sa forge dans une autre contrée.

— Ce n’est donc là qu’une simple rumeur, conclut Ewart en buvant finalement une grande lampée de bière et en se rasseyant sur le dossier de sa chaise, comme pour clore la conversation.

— Cet homme avait l’air pourtant très apeuré mon ami…

— J’ai connu des hommes qu’une simple biche suffisait à effrayer, Behor. Mizuta est à plus de cinquante lieues d’ici, je ne vais pas partir si loin pour un simple gibier.

— Pas un simple gibier, pourfendeur… D’après cet homme, ce qui vit dans cette grotte n’est ni plus ni moins…

Behor regarda autour de lui pour s’assurer que personne ne les écoutait.

— … qu’un légendaire dragon !

Ewart eu bien du mal à masquer sa surprise face à cette annonce. Si cela était vrai, c’était une occasion unique. Un défi à la hauteur de ses ambitions. Mais il parvient à rester de marbre. Ne pas se montrer impressionné participait à sa réputation. Il reposa lentement sa chope à table, et se frotta énergiquement sa barbe drue avant de déclarer d’un ton calme :

— Lorsque j’aurais un peu de temps, si je m’ennuie, j’irais voir ce qu’il en est de plus près.

Behor sourit, acquiesça de la tête, satisfait de lui, et rejoignit son comptoir. Ewart passa encore une heure ou deux à la taverne. Pour la forme. Mais s’il s’était écouté, il serait parti derechef. Ce n’est pas tous les jours que l’on vous rapporte qu’un dragon rôde dans la région. L’une des seules créatures qu’il n’avait pas encore sur son tableau de chasse…

***

Ewart laissa passer la nuit afin de se reposer. Lorsqu’il sortit de sa chaume au petit matin, il lança un regard vers la montagne. Une épaisse fumée blanche s’élevait dans les cieux, au loin. Le forgeron n’avait peut-être pas menti. Il sella son cheval, le chargea d’autant qu’il le put, enfila son armure de cuir et partit au galop en direction du plateau de Mizuta.

Lorsqu’il arriva enfin dans les environs, le soleil commença lentement sa descente vers l’horizon. Dans quelques heures, il ferait nuit. Mais dans la forêt, Ewart repéra rapidement une clairière. Il s’y dirigea au trot et apparut bientôt à ses yeux un grand platane. Il ne devait plus être très loin. En effet, à peine le tronc contourné qu’il vit l’entrée d’une grande grotte. Par prudence, il attacha son cheval au platane et prit avec lui son épée, son nécessaire de chasse et une torche, qu’il embrasa avant de s’enfoncer dans les ténèbres.

Les tunnels y étaient étroits et rocailleux, mais surtout suffocant. Une forte odeur de souffre émanait. Plus de doute, il devait bel et bien s’agir de la tanière d’un dragon. Lorsqu’il prit conscience de cela, Ewart s’arrêta un instant. Son cœur battait à tout rompre. Un dragon. L’une des plus rares créatures qui existaient, mais aussi la plus dangereuse. Le combat s’annonçait des plus ardus. Pendant un instant, il eut comme un doute. Un sentiment de peur l’envahit. Combattre un dragon… Il en relevait plus de la folie que de la bravoure. Il but une gorgée d’eau à sa gourde pour se calmer et reprendre ses esprits. Il était Ewart, le célèbre pourfendeur d’Ortega. Il ne pouvait pas renoncer. Sa fierté prit le dessus sur sa peur et il continua à s’enfoncer dans le noir.

Il aboutit alors sur une immense salle caverneuse. Il cala sa torche contre une paroi, ce qui éclaira l’ensemble de l’espace. Il constata alors que la hauteur était telle qu’il devait être bien enfoncé sous la montagne. Il préféra ne pas y penser, et rapidement ses réflexes de chasseur lui revinrent. Il remarqua les ossements d’animaux au sol. Les traces de griffes sur les rochers alentours. Quelques écailles disséminées… Il sortit son épée de son fourreau et se tint prêt. À petit pas, il progressa dans la salle, tous ses sens aux aguets, sa poitrine tambourinant. C’est alors qu’il repéra dans le fond un nid. Et quelques œufs recouverts d’écailles. Prudemment, il s’en approcha. Mais à quelques mètres de celui-ci, un rugissement se fit entendre, suivi d’un terrible grondement qui fit s’écrouler quelques pierres autour de lui. Ewart vacilla et perdit l’équilibre. Sortant de l’ombre, l’immense dragon noir aux yeux rubis fit son apparition, la gueule fumante. Il rugit une fois de plus avant de coller son museau à seulement un mètre du chasseur.

— Qui es-tu ? Comment oses-tu pénétrer ici ?

Un temps impressionné, Ewart eut le souffle coupé et n’arriva pas à répondre.

— Parle, vermine ! Ou je te réduis en cendres sur place ! menaça le dragon.

Ewart reprit son sang-froid et lentement se releva pour faire face à son adversaire.

— Je me nomme Ewart d’Ortega. Et mon nom ne devrait pas t’être inconnu.

— Et pourquoi cela, misérable morpion ?

Ewart connaissait la curiosité légendaire des dragons, et cherchait à gagner du temps. Sans geste brusque, en toute discrétion, pendant qu’il parlait au dragon, il détacha la corde accrochée à sa ceinture, dans son dos.

— Car je suis connu de toute la région. Les bêtes de ton espèce tremblent rien qu’à ouïr mon nom !

— Et bien je ne tremble pas avorton. Et je n’ai jamais entendu parler de toi. Que me veux-tu ?

Ewart avait à présent sa corde bien en main, cachée dans son dos.

— Je ne te veux rien de particulier. Du moins rien que tu ne me cèderas sciemment.

— Alors fait demi-tour sur le champ, impudent !

— La seule chose que je veux de toi… C’est ta vie !

Et Ewart, d’un geste habile, lança sa corde qui s’enroula autour de la gueule du dragon, qui n’eut pas le temps de comprendre. Le chasseur balança l’autre bout de son lien autour d’un rocher avoisinant et tira dessus de toutes ses forces, ce qui eu pour effet d’immobiliser la bête au sol. Alors que cette dernière réalisait à peine ce qui lui arrivait, Ewart bondit sur son crâne, lame en main, et l’enfonça puissamment, pile entre les deux yeux du reptile.

Mais il ne sentit pas le fer déchirer la chair. Il n’entendit qu’un bruit sourd de métal résonnant contre les murs de la caverne. Il baissa alors le regard. Son épée venait de se briser contre l’épaisse peau d’écaille du dragon.

— Pauvre fou ! hurla ce dernier. Croyais-tu vraiment percer ma carapace avec une simple lame ?

Et bien qu’immobilisé, le dragon parvint tout de même à remuer la tête assez violemment pour faire voler Ewart dans les airs. Il retomba de plusieurs mètres, lourdement au sol.

Juste à côté du nid. L’occasion était trop tentante…

— Ne t’avise même pas, ne serait-ce que d’y songer ! vociféra le dragon, avant de se débattre de toutes ses forces. Bien qu’étourdi par sa chute, Ewart trouva la force de se relever rapidement et courut vers le nid. La corde attachant le monstre commençait à s’user dangereusement.

— Tu ne sortiras pas d’ici vivant, humain !

Sans stopper sa course, Ewart attrapa un des œufs et fila vers la sortie. Le dragon entra dans une telle rage qu’il parvint à rompre ses liens. Il prit alors une immense inspiration et cracha un souffle de feu digne des Enfers en direction du chasseur déjà engouffré dans le tunnel vers l’extérieur. Les flammes progressaient à une vitesse ahurissante, tandis qu’il courrait comme jamais, l’œuf toujours en main. À une telle vitesse qu’elles finirent par atteindre le cuir de son armure qui fondit instantanément sur sa peau. Mais galvanisé par l’adrénaline et la peur, il continua de courir. Il savait que le dragon ne le suivrait pas. Le tunnel était trop étroit, et il n’abandonnerait pas ses autres œufs. La douleur le fit accélérer de plus belle, ce qu’il pensait impossible.

Image by © Nariyuki
Novel by © Franck Tafani

Enfin à l’air libre, il se roula au sol pour éteindre les flammes, et arracha avec vigueur son armure. La chaleur ayant fait fusionné cuir et chair, c’est tout l’épiderme de son dos qu’Ewart arracha dans un cri de douleur si puissant qu’il résonna dans toute la montagne.

À genoux, le dos ruisselant de sang, son armure calcinée à ses pieds et l’œuf de dragon toujours en main, Ewart savoura un instant la chance qu’il avait d’être toujours en vie. Un instant seulement. Car des tréfonds de la caverne, la voix du dragon retentit telle une menace céleste.

— Je te le promets humain. Je te promets que tu périras de mes flammes. Je sais qui tu es, je connais ton nom. Un jour, sois en bien sûr, je te retrouverais et je t’anéantirais, toi et tous ceux qui te sont chers. Il n’y aura nul endroit sur Terre où tu puisses te cacher pour échapper à ma vengeance. Je t’anéantirais, je t’en fais la promesse…

***

Le temps passa. Les jours devinrent des semaines. Les semaines devinrent des mois. Tous les matins, Ewart avait pris pour habitude de lancer un regard en direction de la montagne. Souvent, il n’y voyait que le ciel azuré. Parfois, il y voyait s’élever une fumée blanchâtre, qui lui faisait chaque fois frissonner l’échine.

Mais aujourd’hui, il n’y pensa même pas. Non car aujourd’hui avait lieu la fête de la mandarine. Une tradition annuelle dans la région, dont tout le monde avait depuis longtemps oublié l’origine et le but, mais qui restait prétexte à tout le village pour se réunir et festoyer ensemble sur la grande place. Et cette année, ce n’était pas les tonneaux de vins nouveaux ou les cochons de lait qui donnaient tant d’impatience au jeune homme. S’il se réjouissait tant, c’est parce qu’il savait que cela serait l’occasion pour lui de revoir Cyrodill, cette splendide femme à la chevelure d’ébène et au regard de saphir qu’il avait rencontré voilà un moment déjà. Ils s’étaient souvent croisés ça et là dans tout Ortega, échangeant plaisanteries et banalités, mais jamais il n’osa lui avouer son attirance. Ewart était un homme plutôt solitaire et maladroit avec la gent féminine. Peut-être ce soir trouverait-il le courage de se lancer…

Behor souffla sur les braises pour faire partir le feu et commença à faire tourner le cochon sur sa broche. C’était généralement à ce moment-là que la fête était officiellement lancée, bien que les coupes étaient déjà pleines, voire vides, et que les musiciens avaient entamé leur répertoire. Assis à l’une des immenses tables installées sur la place, Ewart discutait de ses derniers exploits avec quelques habitants, mais cherchait surtout du regard celle pour qui il avait pris soin de se peigner convenablement ce soir. Elle ne semblait pas être encore arrivée, alors il tenta tout de même de profiter de la fête en se régalant de viande grillée et de vin fruité. Il se prit même à danser avec les autres. Mais petit à petit, fatigué ou aviné, chacun commença doucement à regagner sa chaumière. Au compte-goutte, la grande place du village se vida, les fûts de chêne se tarirent et les braises s’éteignirent, sans que Cyrodill ne se montre.

Et alors qu’il ne restait plus qu’une dizaine d’irréductibles fêtards, Ewart regagna sa place, seul à la grande table. Il n’était pas déçu, il avait passé une excellente soirée, mais il regretta fortement l’absence de la belle brune. Il soupira, résigné, et entreprit de se relever pour souhaiter une bonne nuit à Behor, mais il sentit une main se poser délicatement sur son épaule. Il se retourna brusquement. À la lueur des flambeaux, les yeux bleus de Cyrodill brillaient encore plus fort qu’à l’accoutumée.

— Ewart le pourfendeur d’Ortega, lança la jeune femme. Vous ici ? Je désespérais de vous voir !

Un peu déstabilisé, le chasseur balbutia quelque peu :

— Je… Oui… C’est… Moi aussi ! Je suis ici depuis le début de la fête.

— Vraiment ? Je ne vous ai même pas vu dans la foule, quel dommage. Vous avez apprécié la soirée ?

— Disons qu’elle vient à l’instant de devenir encore plus belle…

Diantre ! Lui-même fut surpris de sa réponse et de tant d’aplomb. Probablement le vin lui déliait la langue. Cyrodill lui sourit chaleureusement et vint s’assoir tout à côté de lui.

— Alors ? Quelles autres fantastiques bêtes avez-vous encore abattues ces derniers jours, terrible traqueur ?

Et tandis qu’Ewart se lança dans le récit de sa dernière prise, un redoutable cerbère des plaines, Cyrodill porta sa coupe à ses lèvres et but lentement, sensuellement. Elle planta son regard dans celui du jeune homme, ce qui eut pour effet de le troubler intérieurement. Il tenta tant bien que mal de continuer sa chronique mais la belle prit un air volontairement désintéressé, en haussant avec exagération ses sourcils. Il mit quelques secondes à le remarquer et lui demanda :

— Excusez-moi mais… Est-ce que je vous ennuie ?

Elle reposa sa coupe en silence avant de passer lentement sa langue sur ses lèvres pour essuyer le vin. Autour d’eux, d’autres étaient encore partis. Il ne restait qu’une poignée d’habitants et Behor qui éteignit définitivement le brasier.

— Pas le moins du monde très cher, mais disons simplement que vos histoires de massacres ne m’intéressent guerre…

— Mais c’est vous même qui…

— J’ai demandé cela par politesse, coupa-t-elle. Pour entamer la conversation. Non pas que je sois admirative de vos exploits, au contraire, mais déjà je suis sûre que vous êtes las de parler de cela tout le temps et surtout, je suis persuadée que sous cette image de guerrier intrépide se cache bien plus de richesse.

— Je ne suis pas sûr de vous suivre Cyrodill…

— Je vois en vous bien plus qu’un simple tueur de bêtes. Je vois en vous un homme juste, fier et bon. Vous avez votre propre philosophie et j’admire cela. Vous avez bien plus à offrir, j’en suis certaine. Vous n’êtes pas seulement Ewart le pourfendeur d’Ortega. À mes yeux, vous êtes un homme qui vaut bien mieux que cela.

Ewart ne sut que répondre. C’était bien la première fois qu’on le voyait au-delà de ce qu’il montrait. La première fois aussi qu’une femme lui parlait ainsi. Qu’elle usait d’un ton aguicheur et pourtant si subtil et délicat. Envoûtant. Les derniers fêtards avaient définitivement déserté. Il ne restait plus qu’eux deux sur la grand place, éclairés par les quelques torches qui n’allaient pas tarder à s’éteindre.

— Je… Je ne sais que vous répondre Cyrodill…

— Laissez simplement parler votre coeur Ewart…

En l’espace d’une seconde seulement, un millier de mots vinrent à l’esprit du jeune homme. Mais chacun d’eux paraissait bien dérisoire face à l’ampleur des sentiments qu’il éprouvait à ce moment-là. Alors, timidement, il approcha ses lèvres de celles de sa bien-aimée, qui ne le repoussa pas. Bien au contraire. Elle passa sa main chaude sur sa nuque et ils échangèrent un long et langoureux baiser, qui leur sembla durer une éternité.

— Hé bien Ewart, déclara la jeune fille quelque peu essoufflée, voilà une réponse des plus surprenantes, mais néanmoins forte agréable !

— Les baisers sont des malices inventées par la nature lorsque que les mots ne suffisent plus à exprimer nos émotions.

Elle lui sourit, charmée par ses paroles. Ils se perdirent un moment dans le regard de l’autre, jusqu’à ce que la dernière torche ne se consume et les plonge dans le noir.

— On dirait là comme un signal pour nous dire qu’il est temps de rentrer, souffla-t-elle à mi-voix.

— C’est… Oui, on dirait. Mais il me semble que vous habitez loin d’ici, vous n’allez pas traverser tout le comté par cette nuit si obscure. Voulez-vous… Voulez-vous dormir chez moi cette nuit ?

— Voilà une invitation que je ne peux refuser. Mais je tiens tout de même à vous dire une chose Ewart, pour que les choses soient établies à l’avance. Je ne suis pas une créature que l’on chasse et que l’on accroche ensuite en trophée à son mur. Je ne suis pas ce genre de femme.

— J’entends ce que vous dites et… Oh Grands Dieux Cyrodill, je ne désire pas uniquement partager votre couche, soyez rassurée, je rêve aussi en secret de partager votre cœur et votre vie. Pardonnez-moi d’être aussi brusque et engageant mais loin de moi de faire de vous la femme d’une seule nuit, c’est même tout l’inverse. Vous hantez mes pensées depuis des mois maintenant, et je n’ai rien osé vous avouer jusqu’à ce soir. Simplement, car je ne peux pas…

— Et pourquoi cela ?

Ewart leva alors les yeux en direction du plateau de Mizuta. Le ciel avait beau être clair, sans fumée, il ne put empêcher son cœur de se serrer dans sa poitrine.

— Je… Ecoutez Cyrodill, je ne suis pas de bonne fréquentation. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il y a trop de choses qui pèsent sur moi, et s’unir à moi représenterait un danger pour vous et… Je ne veux pas prendre le risque de vous blesser d’aucune manière que ce soit.

— Quelle est donc cette menace si dangereuse ?

— Je préfère ne pas en parler, mais je regrette Cyrodill, je ne veux pas vous faire courir un tel risque, je ne le supporterai pas, s’il vous arrivait malheur, je m’en voudrais toute ma vie, je ne ve…

Elle le coupa, plaquant lentement son index sur sa bouche pour lui indiquer de se taire, avant de l’embrasser à nouveau, et de conclure :

— Je suis prête à prendre ce risque Ewart. Je suis sûr que vous en valez la peine. Je préfère une vie pleine de danger à vos côtés plutôt qu’une vie sans vous, qu’importe ce dans quoi je m’engage.

Déstabilisé par l’assurance de la belle brune mais surtout par son charme, il lança un nouveau regard vers la montagne. Après tout, cela faisait bien longtemps qu’il n’avait plus aperçu la fumée au loin…

Il prit alors la main de Cyrodill, se leva de table et l’invita à faire de même. Et cette nuit-là, depuis bien trop longtemps déjà, Ewart n’eut ni le temps ni le besoin d’allumer un feu dans sa cheminée…

***

Au petit matin, Ewart quitta son lit à demi-nu et laissa sa compagne dormir encore un peu. Il sortit de sa chaumière pour sentir l’air frais de la matinée. Il resta là quelques instants, son âme dans le vague. Il était simplement heureux. Cyrodill vint alors le rejoindre et l’enlaça par derrière avant d’embrasser son cou et son lobe.

— Bonjour mon ami, lui susurra-t-elle au creux de l’oreille.

— Bonjour ma douce et tendre. Vous avez bien dormi ?

— La nuit fut courte, mais reposante. Je suis heureuse de me réveiller à vos côtés.

— Et moi donc…

— Ewart… Je n’ai pas envie de rentrer chez moi. Je n’ai plus envie. À vrai dire je ne veux plus perdre un instant sans vous.

— Ma demeure est assez grande pour deux. Restez donc ici avec moi.

Elle lâcha son étreinte pour faire face à son nouvel amour. Elle lui demanda si tout cela n’était pas trop précipité, mais il lui répondit que non. Elle lui demanda alors si elle pouvait emprunter son cheval, afin d’aller chez elle prendre quelques affaires, qu’elle n’en aurait que pour quelques heures, et qu’elle s’occuperait dans les jours à venir de vendre sa chaumière au plus offrant. Il lui donna selle et rênes et à la fin de la journée, robes et cosmétiques avaient trouvé place aux côtés des armes et autres trophées de chasse.

Presque qu’une semaine s’écoula. Le jeune couple nageait dans le bonheur, ivre de leur amour. Le temps ne semblait plus avoir d’emprise sur eux… Mais ce matin-là, quelqu’un vint frapper avec insistance à la porte. Simplement couverte d’un drap, ce qui en disait long sur son activité en cours, Cyrodill ouvrit la porte de ce qui était désormais sa maison.

— Oh Behor, c’est vous ! s’exclama-t-elle en rougissant. Je… Pardonnez-moi, laissez-moi simplement le temps de me… Vous êtes venu voir Ewart ? Je l’appelle !

Elle pensait pouvoir rapidement se cacher mais, gêné, Behor lui répondit que c’était elle qu’il était venu trouver. Encore plus écarlate, elle balbutia une réponse tout en parcourant du regard la pièce à la recherche de ses vêtements, en vain.

— Ne vous en faites pas, rassura Behor, je suis simplement venu vous remettre ceci.

Il déposa au pas de la porte un sac en tissu qui semblait lourd, avant de reprendre :

— L’or de la vente de votre demeure, que vous m’aviez chargé de gérer. C’est donc désormais officiel : votre seule maison est ici.

Et pour ne pas la gêner d’avantage, il la salua rapidement d’un signe de tête et tourna les talons. À entendre cela, Cyrodill fut partagée entre une joie incommensurable et une inquiétude inexpliquée. Il n’y avait plus de retour en arrière possible, mais elle savait qu’elle avait fait le bon choix. Elle était folle amoureuse.

— Qui était-ce ? lança alors Ewart depuis la salle d’eau.

Elle ne répondit pas de suite, saisit le sac d’or pour le déposer à l’intérieur et le rejoignit. Il avait, pendant ce temps, préparé un grand baquet d’eau brûlante dans lequel il se prélassait déjà. Elle laissa choir le drap qui couvrait sa nudité.

— Behor. Il est venu m’apporter l’or obtenu pour mon ancienne maison.

— Et le compte y est ?

— Je n’ai pas pris le temps de compter… Pas encore !

Ewart ne l’écoutait déjà plus. Il était captivé par les courbes généreuses de sa compagne, ce qu’elle remarqua rapidement.

— Il n’est pas très poli de regarder ainsi les femmes dans leur plus simple appareil très cher, lui dit-elle sur le ton de la plaisanterie.

Ewart se contenta d’hausser les épaules, et elle le rejoignit dans l’eau fumante.

— Ce n’est peut-être pas poli, mais je viens de me rendre compte qu’en dehors de l’amour, c’est la première fois que je découvre votre corps nu.

— L’inverse est vrai aussi. Et à ce propos… Je ne vous ai pas encore posé la question, car nous sommes à chaque fois emportés par notre fougue mais… D’où proviennent ces énormes cicatrices dans votre dos ?

Cyrodill remarque d’emblée qu’à peine sa question posée, le visage de son homme se referma, et qu’il détourna aussitôt le regard, gardant le silence.

— Répondez-moi Ewart, je suis curieuse de connaître quelle hostile créa…

— Ne me posez pas cette question je vous prie ! répondit-il sèchement.

Elle tenta de le taquiner pour désamorcer la situation :

— Allons mon amour, n’ayez pas honte d’une quelconque défaite.

— Il ne s’agit pas de… Je ne veux pas en parler ! Voilà tout ! N’insistez pas !

Le ton d’Ewart devint très nerveux. Presque colérique. Cyrodill comprit qu’il y avait autre chose là-dessous qu’un simple affrontement qui avait mal tourné.

— Mon aimé, nous ne sommes pas censés avoir de secret l’un pour l’autre, faites- moi part de ce qu’il s’est passé, je suis sûre que cela soulagerait votre consci…

— Il suffit ! hurla-t-il. Je viens de vous dire que je refuse d’en parler, êtes-vous sourde ?

Très surprise par la vive réaction de son compagnon, Cyrodill ne sut que dire. Elle ne l’avait encore jamais vu sous ce jour. Elle voulut l’apaiser en le serrant dans ses bras, mais à peine avait-elle approché sa main qu’il la rejeta avec violence, ce qui acheva de l’inquiéter pour de bon. Elle ne put contenir les larmes qui naissaient au creux de ses yeux.

— Ewart mon tendre, que… Que vous arrive-t-il ?

— Il ne m’arrive rien, laissez-moi en paix !

Au fond de lui, il savait qu’il réagissait mal. Il savait qu’il était simplement inquiet à l’idée que le dragon puisse venir ici à Ortega, et mettre sa menace à exécution. Mais il ne pouvait se résoudre à en parler à Cyrodill. Il ne voulait pas l’inquiéter. Il ne voulait pas la faire vivre dans la peur, la même peur qui l’animait depuis tout ce temps. Et cette situation le rendait extrêmement nerveux. Elle finit par lui avouer :

— Ewart, je vois bien qu’il ne s’agit pas d’une simple blessure, alors parlez-moi je vous prie…

— Mais allez-vous vous taire grands dieux ? hurla-t-il en se relevant d’un coup, ce qui eut pour effet de renverser une bonne partie de l’eau chaude partout dans la chaumière.

— Calmez-vous Ewart ! Regardez les dégâts que vous causez à cause de votre emportem…

— Je n’ai cure des dégâts que je cause ! reprit-il encore plus fort. Peut-être que si vous cessiez d’insister sur le sujet, cela n’arriverait pas ! Ne me demandez plus jamais rien à propos de ces cicatrices ! Le sujet est clos !

Et il quitta la pièce. Cyrodill entendit la porte de la chaumière claquer. Jamais elle ne se serait doutée que son compagnon puisse avoir un tel comportement…

Elle passa la journée seule, et lorsqu’il revint au soir, ils n’échangèrent pas un mot. Pour la première fois depuis la fête de la mandarine, ils s’endormirent sans se donner l’un à l’autre…

***

Au lendemain, ils firent semblant que ce fâcheux épisode n’ait jamais eu lieu, et ils reprirent leur vie de couple aussi intensément qu’avant, comme si de rien n’était. Cyrodill n’osa plus aborder le sujet, mais ce mystère lui resta bien évidemment en tête. Les jours passèrent, et Ewart resta celui qu’il avait toujours était : un homme enjoué et plein de vie.

Un matin, Ewart se leva plus tard qu’à l’accoutumée. Il fut un temps surpris de constater qu’il était seul dans le lit, mais comme le soleil était déjà haut dans le ciel, il ne s’en inquiéta pas plus que ça. Il sortit de ses draps, enfila une ample tunique et sortit dehors comme à son habitude pour apprécier l’air matinal. Mais aujourd’hui, il vit une chose qui lui glaça le sang. L’épaisse fumée blanche qui s’élevait de par-delà la montagne était réapparue. Voilà des mois entiers qu’il ne l’avait pas vu, qu’il y pensait à peine, mais elle était de retour. Cette vision le figea d’effroi pendant plusieurs dizaines de secondes, avant de se rappeler que sa dulcinée était absente. Pris de panique, il vacilla quelque peu en imaginant le pire, mais il se reprit rapidement pour aller chercher sa claymore à l’intérieur. Il bazarda toutes ses affaires pour saisir son arme, sans même prendre le soin de la glisser dans un fourreau, et repartit tête la première vers l’extérieur. À peine la porte franchie qu’il se heurta violemment à une jeune femme, si violemment que la pauvre tomba au sol, laissant choir le panier de fruits qu’elle tenait, ces derniers roulèrent lamentablement au pied du chasseur.

— Cyrodill ? Par tous les diables que faites-vous là ?

— Il me semble que j’habite ici désormais, dit-elle en lui tendant la main pour qu’il l’aide à se relever, ce qu’il ignora totalement.

— Je veux dire, que faites-vous à l’extérieur ? insista-t-il avec véhémence.

— Je crois me souvenir que je suis encore libre de vaquer où bon me semble, répondit-elle sur le ton de la plaisanterie, tout en se relevant d’elle-même. Pourquoi êtes-vous si nerveux très cher ?

Ewart se mordit les lèvres pour contenir sa colère, mais planta d’un geste brusque son épée dans le sol.

— Pourquoi ne m’en avez-vous pas informé ? hurla-t-il

L’attitude et le ton qu’il employait inquiétèrent la jeune femme, qui ne plaisantait plus.

— Parce que comme je viens de vous le dire Ewart, je fais ce que je veux !

— Et bien je vous prierai à l’avenir de me faire savoir quand et surtout où vous vous rendez, femme !

Au fond d’elle, ce fut un torrent d’effroi qui envahit Cyrodill. Jamais elle n’avait vu, jamais elle n’aurait cru son homme capable d’un tel comportement. Mais elle voulut se montrer forte et fière, car c’était la meilleure chose à faire.

— Écoutez-moi bien Ewart. Je ne suis pas ce genre de femme, m’avez-vous bien comprise ? Et vous n’êtes pas non plus ce genre d’homme d’ailleurs. Du moins vous ne m’y avez pas habituée. Alors tenez-le vous pour dit : je suis une personne libre. J’ai le loisir de faire ce que je veux, quand je veux, et où je veux, sans l’approbation d’un homme, quand bien même cet homme partage ma couche et mon foyer. Sommes-nous bien clairs là-dessus ? Je ne tolèrerai en aucunes faço…

Il la coupa dans son laïus en lui agrippant fermement le poignet et lui hurla :

— Vous ferez ce que je vous dis de faire !

— Lâchez-moi, vous me faites mal !

— Vous m’obéirez !

— Mais que diable vous arrive-t-il Ewart ?

Le chasseur lança un autre regard en direction de la montagne. La fumée se faisait de plus en plus épaisse. Elle en profita pour dégager vivement son bras endolori.

— N’imaginez pas que je vous serais soumise Ewart ! Au grand jamais n’imaginez pas cela !

Elle prononça ses mots sur un ton de défi, bien que tout son corps tremblait de peur, en appuyant son regard dans celui de son partenaire. Ce dernier se contenta de soupirer bruyamment, puis partit d’un pas rapide et nerveux dans les rues du village.

À présent seule, Cyrodill ramassa ses fruits et rentra à l’intérieur, pour s’assoir sur le lit conjugal. Elle se jura de ne pas craquer. Elle massa son poignet violacé et endolori. Elle se répéta de ne pas craquer. Mais elle aperçut le sac d’or, butin de son ancienne demeure, et fondit en larmes.

***

Les jours qui suivirent passèrent comme si rien ne s’était passé. Plus ou moins. Ewart avait quelque peu perdu sa complicité et sa tendresse. Sa fougue. Tout se passait bien en soi, mais Cyrodill sentait bien que quelque chose clochait, que quelque chose avait changé. Que son amant était nerveux, anxieux. Mais elle n’osait rien dire. Elle ne voulait pas le faire entrer dans une autre colère noire. Elle ne voulait pas gâcher le bonheur qu’ils vivaient. Ou du moins l’illusion de bonheur qui régnait depuis quelques temps. Le bonheur qu’ils avaient vécu. À cinquante lieues d’ici, l’épaisse fumée blanche s’élevait toujours, sans cesse, depuis plusieurs jours maintenant. Une fumée qu’Ewart ne quittait jamais vraiment des yeux, une fumée qui envahissait également son esprit. Une fumée qui, malgré ce qu’il voulait faire croire, envahissait petit à petit sa vie de couple et étouffait sa compagne. Mais dont il n’osait toujours pas parler. Il estimait qu’il valait mieux garder sa femme anxieuse à ses côtés plutôt que de risquer de la perdre définitivement… Quitte à la faire souffrir ? Cette contradiction tiraillait un peu plus son cœur jours après jours, heures après heures…

Ce matin-là, alors qu’il revenait du tanneur, il trouva Cyrodill au fond du débarras, pièce où elle n’allait jamais, car il y entreposait uniquement ses armes et protections, qui ne la concernaient pas. Elle semblait être intriguée par un petit objet qu’elle tenait de ses deux mains. Il s’approcha lentement, et lorsqu’il comprit, son sang ne fit qu’un tour.

— Que faites-vous donc avec cela ? hurla-t-il si fort que la jeune fille sursauta et manqua de trébucher.

— Je… Ce n’est… Juste…

Elle n’arrivait pas à répondre tant le regard de son homme était terrifiant.

— Qui vous a permis de toucher à ça ? continua de crier Ewart.

— Je… Je suis simplement tombée dessus par hasard, balbutia Cyrodill, larmes aux yeux. J’avais besoin d’un couteau aiguisé pour…

Mais elle ne put finir sa phrase. Ewart, de rage, envoya un violent coup de pied dans la table à ses côtés, qui se retourna avec fracas. La jeune femme en fut pétrifiée d’effroi.

— Je vous interdis de toucher à mes effets !

Terrifiée, la brune n’osait plus répondre, ni même bouger.

— Rendez-le-moi immédiatement ! lui ordonna-t-il.

Et alors qu’elle s’apprêtait à le lui tendre, elle jeta tout de même un dernier regard à ce qu’elle tenait en main. Il s’agissait d’une sphère, grosse comme un ballon, dure comme de la pierre, recouverte d’écailles. À bien y regarder, cela avait plutôt la forme d’un œuf. Un œuf dont la coquille était semblable à une peau de serpent. Elle se ressaisit et ravala ses larmes, car elle voulait enfin connaitre le fin mot de cette histoire :

— Avant que je ne vous le rende, dites-moi d’abord de quoi il s’agit Ewart.

Il ne répondit pas. Il se contenta de tendre la main d’un geste oppressant, pour l’inciter à lui remettre l’œuf.

— Non Ewart. Dites-moi ce que je tiens là. Je trouve cela très étrange…

— Il ne s’agit pas là de vos affaires Cyrodill ! Rendez-moi ça !

— Si je ne m’abuse, on dirait bien qu’il s’agit d’un œuf de dra…

Ewart la coupa en frappant violemment le mur de son poing, ce qui fit trembler toute la demeure. Mais la belle ne se laissa point impressionner ce coup-ci. Elle brûlait de connaître, de comprendre ce mystère, de percer la vérité, quitte à faire ça à un homme violent.

— Ewart, cet œuf a-t-il un rapport avec votre comportement inhabituel de ces derniers jours ?

— Il suffit ! hurla-t-il en se jetant sur elle.

Il tenta de lui arracher l’œuf des mains, mais en vain, elle le tenait fermement. Il décida d’y aller de toutes ses forces. Il réussit à le lui extirper. Ce qui projeta la belle en arrière. Elle trébucha. Et chuta. Sa tête vint heurter le coin de la table qu’il venait de renverser par colère. Du sang commença à se répandre sur le sol de la chaumière. Cyrodill ferma les yeux. Définitivement.

***

Il n’avait mit qu’une poignée d’heures cette fois-ci. Il n’avait cessé de galoper. Dans ses yeux, larmes et feu se mélangèrent. Tristesse et colère.

À peine avait-il atteint le plateau de Mizuta qu’il sauta de sa monture sans prendre la peine de l’attacher. Il dégaina son épée, et s’engouffra dans la clairière en hurlant à plein poumon :

— Montre-toi vile créature ! Sors de ta cachette ! Vient m’affronter vermine que tu es ! Je ne te laisserai pas dévorer mon âme une seconde de plus ! Sors te battre !

Et lorsqu’il dépassa le grand chêne, la stupéfaction de ce qu’il découvrit le stoppa net. Tel un coup de massue sur le crâne.

Une forge. Une immense forge avait prit place ici. Une immense forge dont le four crachait de la fumée. Une épaisse et blanche fumée qui s’élevait haut dans le ciel.

Ewart sentit le monde s’écrouler autour de lui.

Sortit alors un homme du baraquement, fin mais musclé, habillé d’un tablier en métal.

— Que se passe-t-il ici Monsieur ? lui lança-t-il du pas de la porte.

Abasourdi, Ewart ne l’entendit même pas. Il resta là, à fixer la fumée, comme s’il ne croyait pas à ce qu’il voyait.

— Monsieur, il y a un problème ? interrogea à nouveau l’homme au tablier.

— C’est… Je… Quelle est cette forge ? Pourquoi ici ? Et qui êtes-vous ?

— Du calme Monsieur, du calme… Cette forge est la mienne. J’ai fini de la construire et de la mettre en marche il y a seulement quelques jours, c’est le seul endroit de la région assez grand que j’ai trouvé. J’ai conscience que ce n’est pas facile d’accès, mais que voulez-vous ?

Haletant, Ewart regardait toujours avec fascination la fumée qui s’échappait de la bâtisse.

— Vous êtes sûr que tout va bien Monsieur ? poursuivit le forgeron. Je vous ai entendu crier…

— Vous… Vous n’avez pas peur du dragon qui vit là ?

— Oh vous voulez parler du dragon noir aux yeux rubis ? Non… Il y a quelques mois, certes, j’étais déjà venu pour m’établir ici, et effectivement, je ne suis pas resté longtemps quand j’ai compris qui occupait cette grotte, là-bas. J’en avais fait part au tavernier du village d’ailleurs… Mais je n’ai trouvé nul autre endroit adéquat. Et puis une rumeur a commencé à circuler. Il a été dit qu’un certain Ewart le pourfendeur d’Ortega avait chassé ce dragon. Je suis venu vérifier par moi-même et effectivement, il n’y a plus de dragon. Je dois une fière chandelle à ce type, vous ne le connaissez pas par hasard ?

Ewart, dévasté, lâcha son épée au sol, tomba à genoux à terre et fondit en larmes.

À cinquante lieues d’ici, un étrange œuf recouvert d’écailles commença à éclore…


Une réponse à « In Draco Ignis »

  1. […] of the Banshee CD by the Czech metal band Seeing Things, on the blog of the Luxembourg bookstore Three Mothers Movies, and exhibited in America. To see more of NARIYUKI’s work, visit his Instagram […]

    J’aime

Laisser un commentaire