En plusieurs plans-séquences maniés avec brio, Beth de Araújo offre une œuvre particulière dans laquelle l’horreur politique s’exprime dans toute sa splendeur. Commençant mine de rien avec l’introduction d’une professeure de maternelle réalisant un test de grossesse, semblant très impliquée dans le bien-être des enfants et dans l’apprentissage du respect à ces têtes blondes, Soft & Quiet est un drame horrifique qui monte crescendo vers une explosion de violence. Et vous avez de la chance, il est actuellement disponible sur Shadowz !
La narration en temps réel, ponctuée d’événements de plus en plus surréalistes joue particulièrement sur l’impression de découvrir un cinéma-vérité des dessous d’un conservatisme américain plutôt hard core. Dès les premiers minutes du métrage, Emily montre une défiance particulière face à la femme de ménage d’origine étrangère de son établissement scolaire. Après un troublant échange avec un petit garçon attendant sa mère retardataire, le public suit donc l’arrivée d’Emily à sa petite réunion auprès de ses copines dans une église située à l’orée d’un bois. Très vite, le cadre est posé : une tarte sur laquelle a été gravée une croix gammée est déposée sur la table et partagée joyeusement entre le groupe de copines. La réunion n’est en réalité qu’un seul but : critiquer l’inclusion, le muticulturalisme, et appuyer la suprématie américaine blanche. Entre des slogans anti-féministes plutôt d’extrême-droite inscrits sur le tableau blanc au marqueur comme le fameux « feminine not feminist », le plan d’éducation pour petits aryens et les légers soucis de frustration au travail de ces « sœurs pour la cause », l’atmosphère anxiogène du film est posée d’emblée !
Dans l’optique de former un club digne du KKK, la caméra suit les pérégrinations de ce groupe de vraies connasses prônant le retour à des valeurs familiales traditionnelles, la menace des mélanges ethniques qui gangrèneraient leur société et des transformations négatives que l’inclusivité et la tolérance leur causeraient dans l’évolution de leurs carrières, de leurs recherches d’un « vrai homme » ou encore dans l’éducation de leurs bambins. Le malaise est grandissant à chaque dialogue échangé entre les membres de cette sororité constituée de femmes frustrées par leurs problèmes du quotidien et qui vont se légitimer entre elles, rejeter la faute sur les « étrangers » et l’inclusivité (ici, perçu dans le sens « l’acceptation de tout ce qui est différent de leur idéologie politique »). Dans leur lutte imaginaire pour la suprématie blanche, et contre les organisations féministes ou encore le mouvement Black Lives Matter, elles feront de leur violence une soi-disant lutte pour la « civilisation » !
Avec une bonne dose de puritanisme, de racisme et de drama, ce groupe de nazillardes n’hésitent pas à faire le salut hitlérien avant de discuter de leurs futurs projets : Emily rêve d’une école traditionnaliste au sein de laquelle les enfants seraient bien éduqué•e•s, Leslie souhaite une famille aimante et ouvrir une boutique de fringues en ligne, et Kim ne pense qu’à élever ses enfants loin de toute opinion différente de la sienne (pour n’en citer que trois).
Bébés, famille, patrie, critique de tout ce qui est différent d’elles, les sujets de conversation de ces « sœurs de lutte » se concentrent autour du soi-disant manque de respect et de la terrible pression qu’exerce sur elles cette nouvelle société de l’inclusion, basculée dans la décadence après les années 1970. Dans leurs esprits malades, tout y passe : les asiatiques propagent de maladie, les femmes ne sont plus assez féminines à cause du féminisme, les juif•ve•s détiennent l’argent et les médias du monde entier, les hommes ne sont plus assez virils, les latinos et les afro-américain•e•s sont bruyant•e•s et sales… Et tandis que leurs délires complotistes battent leur plein, elles sont renvoyées de l’église par le gardien des lieux qui ne cautionne aucunement leur orientation politique ni leur comportement. Elles se décident alors à continuer la réunion chez Emily en faisant un détour par le magasin de Kim afin de se réapprovisionner en vinasse.
C’est là que le malaise béant vire à l’agression. Deux sœurs d’origine asiatiques débarquent dans l’épicerie à la recherche d’un peu d’alcool mais Kim refuse tout d’abord de les considérer comme clientes. Suite à des remarques désobligeantes et humiliantes, puis des menaces, les deux femmes prennent la fuite après avoir été obligées d’acheter la bouteille la plus chère du magasin… Mais l’une d’elles reconnaît Emily et accuse le frère de cette dernière d’être un violeur (un fait vraisemblablement véridique puisque c’est sans doute lui qu’on voit appeler sa sœur au début du film depuis son centre pénitentiaire, cette dernière rejettera d’ailleurs son appel).
C’est alors que le groupe de copines se décide d’entrer par effraction chez les deux sœurs afin de brûler leurs passeports. Entre manipulation, frustration et idées d’extrême droite, Emily demande assistance à son copain, Craig. Chose que ce dernier refuse au début avant que sa meuf ne joue sur le cliché du mâle alpha à plusieurs reprises : « Tu n’es pas une tapette ! », lui criera-t-elle dès que celui-ci remet en doute ses plans foireux. La situation dégénère lorsque les habitantes rentrent soudainement chez elles. La suite, vous vous en doutez : séquestration et déshumanisation des deux sœurs, beaucoup de mauvaise foi, et panique générale !
Elles finissent alors en un débordement de nerfs à se critiquer entre elles tout en massacrant littéralement deux jeunes femmes innocentes. Le décalage entre la réalité de leurs actes et leurs discours est une bombe au visage à chaque étape passée dans l’escalade de la violence. Et tandis que l’une des sœurs s’étouffe devant elle, Kim accuse l’une de ses copines d’être venue à la réunion habillée « comme une pute ». Chacune à son tour, elles se renvoient la balle jusqu’à ce que la leadeuse prenne finalement les choses en mains : faire disparaître les preuves et violer l’une de victimes les éloigneront sans doute de tout soupçon… Et toute la méchanceté et l’hypocrisie de la situation explosent en un double-meurtre suivi d’une dissimulation de cadavres. Une pénible conclusion de justifications à deux balles et de menaces dissimulées entre les membres de cette sororité hitlérienne s’ensuit, mais une chose est sûre : elles sont prêtes à tout pour ne pas aller en prison.
Soft & Quiet est une fable politique sur la tendance de l’extrême droite à minimiser et à justifier ces comportements violents et inhumains sous couvert de « blagues » ou encore de « bonne moralité ». Comme le titre du film l’indique, bien que Emily soit une belle blonde élancée, une épouse d’apparence bien rangée, cherchant à tout prix à avoir un bébé, et travaillant qui plus est dans le domaine de l’éducation, elle n’en demeure pas moins la protagoniste la plus violente et la plus malveillante de ce film d’horreur. Comme toujours, Blumhouse offre une monstration des mécanismes à l’œuvre dans les techniques de communication de l’alt-right et des dynamiques mises en place dans la légitimation de la violence et des discours basés sur l’intolérance et le traditionalisme. Soft & Quiet offre un point de vue féminin sur le suprémacisme blanc, Emily est obsédée par l’idée d’avoir un bébé afin de pouvoir lui transmettre une culture « saine » et « juste », de lui apprendre « à se faire respecter » mais qui s’avèrent en réalité être un mélange de peur, de colère, de xénophobie et de haine. Et tandis qu’elle voit certaines de ses ami•e•s s’épanouir dans leur vie de famille, elle s’imagine un rôle de mère toute puissante : c’est la façon dont elles vont élever leurs enfants qui a le pouvoir de renforcer leur idéologie. Tout comme cette professeure le dit dès le début de l’œuvre : « l’idée est vigoureuse mais doit être inculquée de manière douce et tranquille par les femmes en tant que mères » (ou un truc du genre…). Une vision du monde particulièrement sexiste qui fait des femmes les garantes d’une idéologie raciste et genrée, axée sur la peur de la différence et la supériorité d’une ethnie sur les autres, qui se transmet de générations en générations via « l’amour d’une mère », rappelant le reichsbräuteschule du fascisme hitlérien.












