« The Crow and the Raven » est un petit bijou caché de YouTube. Publié en 2010 et comptant maintenant plus de 128.000 visualisations sur le compte pseudonyme de l’auteur, Marquess Belial, il s’agit d’un poème écrit et animé par l’artiste et auteur Nicholas Rubatino (vous pouvez consulter sa page Instagram ici), une splendide expérience de 2 minutes et 5 secondes à vous glacer le sang.

Voilà une transcription et traduction du poème :

From:
Nicholas Rubatino
In:
2010 Anno Domini Nostri Jesu Christi


In bereft land
The Raven flies


Birth: Peep Peep
We call

You and I look up to see:
Resplendent glory,
The Raven
We open our mouths to partake in
The Raven’s Fruit,
And The Raven satisfies:
strong flowing, deep currents,
of Desire.
But we bite the hand
the meal is insubstantial.
We punish the raven
But she knows it not.
hhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh

De : 
Nicholas Rubatino
En : 
2010 Anno Domini Nostri Jesu Christi


Au pays de l’oubli
Le Corbeau vague


Genèse : Pip Pip

Nous crions

Toi et moi, nous levons le regard vers l’haut :
Quelle gloire resplendissante !
Le Corbeau
Nous ouvrons le bec pour prendre part
À son Fruit
Et le Corbeau fournit : 
Forts et profonds courants
du Désir.
Mais nous mordons sa main
l’aliment est insuffisant.
Nous punissons le corbeau
Mais elle ne le sait pas.
hhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh

Une triste histoire de famille

Ce morceau d’art abstrait et plein de symbolisme laisse une grande place à l’interprétation, mais sa signification originale nous est apparemment connue. Selon une publication sur la plateforme Reddit, plus précisément sur le subreddit r/Jung, un·e intervant·e laisse un commentaire et soutient que l’auteur a écrit ce poème à propos de sa relation avec sa mère.

Malheureusement, retrouver ce commentaire s’est avéré impossible. Si on prend comme vérité la réponse de l’utilisateur·trice u/axelpastel, alors le poème traite du manque d’amour maternel que Nicholas Rubatino a vécu dans son enfance et du mode de vie de sa mère, dont il devait s’échapper éventuellement. Le Pays de l’oubli illustre le vide émotionnel de quelqu’un·e qui n’a jamais connu l’amour maternel. Ce manque est également représenté par l’aliment insuffisant. La punition que le corbeau (la mère) subit ne lui est pas évidente parce qu’il ne comprend pas le contexte de cette punition. La figure pendue qui tombe du nœud est quelqu’un·e qui s’échappe des effets d’une telle enfance.

The Crow and the Raven capture d'écran du corbeau

L’histoire d’une autre mère…

Pourtant, mon interprétation personnelle, que je trouve digne de mentionner, était toute autre. De la même façon que Rubatino avait visé la relation avec sa mère, si on généralise le poème et qu’on le sort de son contexte personnel, on peut associer la figure du Corbeau à celle de la mère… nature. Le poème devient ainsi une allégorie cynique de la relation entre l’être humain et son environnement après la Révolution industrielle.

Dans le monde désert de « The Crow and the Raven », dominé par la mort, le Corbeau, une femme grande, nue, décharnée demeure sur les plateaux, comme un vestige maternel, le fossile d’une chaleur ancienne. Une voix distordue, déconstruite, flippante raconte son histoire. « Birth » – Naissance  : La corneille est née du néant, dégoûtante, elle s’éveille des pierres, de la boue, de la pourriture. Innocente en apparence, la corneille demande de la nourriture. La mère Corbeau fournie une pomme. Mais la corneille désire toujours plus et mord la main qui la nourrit. Ici on peut faire une parallèle évidente avec la manière dont les humains ont exploité la nature.

Nicholas Rubatino surprend ainsi la démesure du désir, la prétention du progrès et de conquérir la nature sauvage, de nier la connexion de l’être humain avec la nature, qui nous ont amené en tant qu’espèce presque à l’anéantissement environnemental. Et comme le Corbeau dans le poème, la nature est punie, sans même s’en rendre compte. Le corbeau perd sa majuscule lors de sa violation. Un sacrilège a été commis envers la dernière trace de divinité dans un univers maudit. Et la corneille, comme l’Homme, repart pour trouver d’autres ressources.

Le danger wébérien contre l’humanité

Le corps non identifiable pendu, ou lynché, se détache de sa branche. Il tombe. Il se lève. Il part sur son chemin. Nicholas Rubatino illustre la naissance d’une nouvelle vie lors de la mort du corbeau, une nouvelle ère commence. Une interprétation personnelle de cette partie serait liée à la divinité et à la justice. « Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! ». Les paroles célèbres de Nietzsche résonnent. Entre autres, Dieu est un symbole de la justice délivrée et de l’acte mené avec de la conscience.

Or, lors de la Révolution industrielle, le monde connaît une vague d’athéisme. Sûrement, cela représente une libération des dogmes, mais aussi une excuse supplémentaire pour agir sans pitié envers la création, soit les humain·e·s, soit la nature. En tuant Dieu, l’être humain a tué surtout sa conscience et s’est permis de faire tout ce qu’il veut de son environnement, sans tenir compte du seul concept qui l’aurait empêché : le Jugement dernier. Et le monde risque de devenir réellement une désolation comme celle de « The Crow and the Raven ».

Cependant, tout a une conséquence, et si l’existence de Dieu est discutable, celle de l’exploitation de l’environnement ne l’est pas. Dieu lynché se réveille à la fin – une métaphore pour les répercussions des actions de l’humanité. La mégalomanie humaine va être frappée par un sort de justice taciturne, estimée inexistante, mais qui vengera les pertes naturelles.

Autres œuvres de Nicholas Rubatino sont les livres « Red and the Wolfe » (« Rouge et le loup ») et « The Equine Comedy: Artwork from Nicholas Rubatino 2010-2022 » (« La Comédie équine : œuvres de Nicholas Rubatino 2010-2022 »), disponibles sur Amazon. Des diverses sculptures et expérimentations de l’artiste sont pareillement accessibles à consulter sur son blog, The Sainty Leftovers.

En dernier, le poème « The Crow and the Raven », ainsi que l’animation qui l’accompagne, est une œuvre d’art indéniable qui mérite beaucoup plus de précognition et qui prouve l’héritage du genre d’horreur dans le multimédia.


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