Jeu narratif mêlant horreur réelle et onirisme terrifiant, Decarnation nous transporte à Paris en 1990 et met en scène les mésaventures de Gloria, performeuse de cabaret, qui se retrouve mise sur le banc de la scène puis capturée par un maniaque véritablement obsédé par elle. En proie à ses démons intérieurs et ses espoirs avortés, la danseuse doit gérer une relation de couple compliquée, les attentes de sa mère, mais aussi sa passion qui se retrouve menacée par un boss qui l’estime trop vieille pour continuer les performances sur scène. Un climat déjà peu propice à l’épanouissement qui se couplera à un premier élément perturbateur : une scène particulièrement dérangeante à base d’agression sexuelle sur une statue à son effigie dont elle est témoin lors de sa visite au musée. Après ça, sa vie sombre dans une chute sans fin de déceptions et de complications jusqu’à… sa séquestration dans un sous-sol, prétendument sous les ordres d’un riche nanti lui apparaissant masqué.
Entre du body horror à la Cronenberg, des monstres gluants et tentaculaires à la Lovecraft, du délirant à la David Lynch (et bien d’autres références), Shiro Unlimited s’associe à un studio français, Atelier QDB, pour nous offrir une aventure terrifiante sur PC et Switch.
Riche en références, notamment cinématographiques, Decarnation (Quentin De Beukelaer, 2023) nous plonge dans la psychè de notre protagoniste principale qui doit à la fois s’échapper de sa cage aménagée mais surtout dealer avec ses propres peurs fantasmagoriques au travers de minigames et d’énigmes à résoudre.
L’atmosphère glauque et lugubre de ces mondes oniriques dévastés et ne répondant à aucune règle de la physique, l’ambiance décalée de la « prison cosy » et son maître masqué ainsi que le gameplay diversifié du jeu foutent littéralement le joueur ou la joueuse dans un état de sidération tout en gardant pourtant un rythme dynamique expliqué par la variation des mystères proposés, des boss dégoulinants, et des PNJ réels ou imaginaires qui partagent avec Gloria sa quête initiatique arpentée des tréfonds englués de son cerveau. Des plans ingénieusement éprouvants et une OST cryptique d’Akira Yamaoka (qui a notamment travaillé sur la bande sonore de Silent Hill) nous plongent indéniablement vers les abysses poisseuses de l’esprit tourmenté de Gloria.
Dès les premières minutes de jeu, Decarnation joue sur nos représentations de l’Art, nos visions de l’horreur, tout en critiquant les descriptions positives et pompeuses que les œuvres peuvent posséder malgré les violences existentielles qu’elles mettent en scène. Des classiques de la peinture à l’audiovisuel de genre en passant par les influences de la littérature, les arts représentés ont ça en commun qu’elles nous présentent les horreurs et les vicissitudes de notre humanité. Bien que hautement esthétisées et décrites avec de beaux phrasés, elles n’en demeurent pas moins des folies, des morts, des angoisses, des agressions ou encore des souffrances qu’elles soient psychologiques ou physiques. Une quête sinueuse d’identité et de libération débute dès lors… Finalement, une histoire de survie particulièrement bien ficelée.
Envoûtante et oppressante, cette œuvre est un petit RPG narratif en pixel art réalisé en hommage au surréalisme. Les rêves et les espoirs de Gloria se brouillent avec ses angoisses et ses propres démons qui l’empêchent d’avancer. Elle trouvera néanmoins le courage nécessaire pour fuir sa situation lugubre une fois qu’elle réussira à faire la paix avec ses craintes et son désarroi. Jeu hautement symbolique et surréaliste, il compte également une dimension psychologique indéniable. C’est bien en explorant son esprit que Gloria pourra à nouveau rêver de liberté.
S’inspirant également des œuvres de Satoshi Kon (Perfect Blue en tête), Decarnation témoigne d’un attachement particulier à la fusion entre le monde psychique et l’univers réel si bien que les illusions s’insinuent peu à peu dans le récit jusqu’à en constituer la trame principale. D’autres inspirations en provenance du cinéma japonais avec un oni géant (créature mise notamment en scène par Kaneto Shindō en 1964 dans son Onibaba) coursant Gloria sur un pont, mais aussi avec la saga Silent Hill avec son environnement brumeux et ravagé confortent la forte présence d’Easter eggs disséminés un peu partout dans la narration. De quoi ravir les amateurs et amatrices d’horreur et de contes fantastiques pour qui le jeu sera un véritable jeu de pistes à la fois récréatif et dérangeant.
Entre énigmes sinistres, clins d’œil au cinéma de genre, et tranches de vie, Decarnation est une petite perle d’une horreur mondialisée aux multiples références culturelles, aux folklores des quatre coins du monde, mettant en avant les origines de la terreur : la peur, les conflits psychiques et les blocages face à la violence de ce monde. Véritable catharsis et bel hommage à l’horreur sous toutes ses formes, ce jeu vidéo s’attarde davantage sur le monde intérieur de son héroïne et sa lutte acharnée contre ses pensées destructrices que sur l’enfermement concret dont elle est victime. Decarnation est disponible sur Steam et sur Nintendo Shop !















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