Avant de parler de Mosquito (Gary Jones, 1994), un petit retour sur les animaux tueurs mis en scène dans les films de genre s’impose…

  • Mosquito
  • Mosquito
  • Mosquito
  • Mosquito

Les animaux répulsifs au cinéma

Avec la sortie récente de Sous La Seine (Xavier Gens, 2024), qui a su surfer sur l’actualité olympique parisienne à venir, l’immense gagnant estival au rayon des animaux tueurs demeure le requin. Celui-ci a même désormais son festival dans la capitale, la Shark Week, mêlant sharksploitation, documentaires, conférences et exposant·e·s.

Les années 90 se sont révélées être un hiatus en matière de films de requins. En effet, ce n’est qu’en 1999 que Peur bleue (Renny Harlin & Duncan Kennedy) et Shark Attack (Bob Misiorowski) relanceront une immense vague de productions continue avec notamment le raz-de-marée Corman qui enchaînera films farfelus sur ledit thème (Dinoshark, la trilogie Sharktopus…).

J’ai donc décidé de me jeter à l’eau, à contre-courant malgré ma passion pour les créatures aquatiques, les requins et leur folklore fantasmé, pour porter mon choix sur un animal moins imposant mais plus coutumier de l’intérieur de nos terres. C’était également l’occasion de redécouvrir ce film qui m’aiguillonnait, 30 ans après sa sortie. La menace animale la plus dérangeante et redoutable de cette décennie est certes moins spectaculaire et populaire que le requin absolument pressé comme un citron, mais elle est bien plus réaliste et fréquente dans notre environnement. Il s’agit bien évidemment du moustique, mis à l’horreur dans Mosquito.

Les 90’s, le come back des araignées et des zoonoses

En plein été 1990, le fantastique Arachnophobie de Frank Marshall pose un jalon déterminant dans le retour des petites bêtes mortelles. Déportée accidentellement du Venezuela en Californie, une araignée d’origine préhistorique va semer la terreur dans la campagne américaine. Le film connut un succès immédiat.

Puis, en 1993, deux films mettent à l’horreur les animaux hématophages les plus repoussants : Skeeter (Clark Brandon) exposera d’énormes moustiques mutants qui sèment eux aussi la pagaille dans une petite ville américaine au milieu du désert. Le responsable ? Un homme d’affaires corrompu qui dépose des déchets toxiques illégalement. Quant à Ticks aka Infested (Tony Randel), sorti la même année, il aura l’audace de nous présenter une autre créature insidieuse, la tique, mais hypertrophiée à cause d’une mutation génétique, encore une fois due à l’homme.

Derrière l’aspect grand-guignolesque de ces deux films et avec Mosquito, j’ai tendance à penser que ces deux créatures, la tique (un arachnide acarien) et le moustique (un insecte diptère) fonctionnent comme des métonymies de notre inconscient. Ils évoquent de dévastatrices zoonoses (des maladies fatales et infections transmises par ces animaux) : la malaria (pour ne citer qu’elle) et la maladie de Lyme véhiculée par la tique. Ces ravageurs portés à l’écran ne sont pas sans évoquer une version insectoïde du vampirisme, ils contiennent les mêmes thèmes (morsure, sang, contamination, voire viol).

  • Skeeter

Petite mouche mais gros dégâts

« Chaque année, ces merdeux se réveillent, poussés par la fièvre du sang ! » (Chef Marrow)

Un an plus tard, le 21 novembre 1994, sort Mosquito, avec un synopsis simple. Le film s’ouvre sur une scène SF cette fois-ci, très conventionnelle, où l’on peut voir un vaisseau spatial libérer une capsule qui finira par s’écraser au milieu d’un marécage. Un gros plan intimidant cadre sur un moustique qui émerge de l’eau, atteignant sa phase adulte aérienne. La caméra subjective nous montre alors son point de vue et son déplacement vers la capsule extraterrestre. Les aliens, n’ayant pas survécu au crash, se font alors bouffer dare-dare par les moustiques ! Le film se dédouane de la responsabilité humaine, les radiations sont ici d’origine extraterrestre.

  • Mosquito
  • Mosquito

Le film est direct. Alors qu’ils roulent dans la campagne, Megan et Ray heurtent une énorme créature volante. Grâce ses connaissances en entomologie, Megan pense reconnaître une proboscide, cette pièce buccale ou trompe avec laquelle certains insectes piquent pour se nourrir. Ray, lui, reste dubitatif vis-à-vis des hypothèses de sa petite-amie…

Afin d’assurer un séjour agréable aux touristes dans son parc national du Michigan, le chef Marrow, leader des rangers, ordonne à son subalterne Hendriks de pulvériser un insecticide, un moyen drastique pour se débarrasser des moustiques ordinaires (ironiquement, Hendriks enfumera les touristes). Cet aspect expéditif masculin sera contrasté par l’arrivée de la nouvelle recrue Megan, qui sera davantage réfléchie dans la gestion du gros danger à venir.

Les moustiques atteignent désormais des proportions massives (plus gros que ceux de Skeeter) ! Ils sont assoiffés et attaquent le parc, décimant tous les touristes. Seul Hendriks a pu survivre en se cachant et il rejoindra un groupe de survivants très variés constitué de Megan et Ray, Steve, un météorologue à la recherche de la « météorite » et d’un trio de braqueurs braques en fuite, dirigé par Earl (joué par le colosse légendaire Gunnar Hansen alias Leatherface).

  • Mosquito
  • Mosquito
  • Mosquito

Mosquito et son cocktail de personnages réussi

Le film réinvestit habilement plusieurs archétypes du survival : Steve, le scientifique raisonné et logique, Hendriks, le ranger lâche et râleur (joué par le guitariste lead des Stooges !), Earl, le criminel rêche et violent qui apprendra à se tempérer, Megan, la « femme qu’on n’écoute pas mais qui avait raison » et Ray, le petit-ami sanguin, sceptique, souvent désinvesti et trop sûr de lui.

Tous ces personnages vont se retrouver à fuir ensemble pour survivre dans une recette qui reprend tous les ingrédients du film de zombie, en particulier La Nuit des morts-vivants (George A. Romero, 1968). Ils finiront d’ailleurs par se confiner dans une grande maison de ferme, à barricader les fenêtres et entrées en clouant des planches comme dans l’œuvre de Romero. 

Mosquito ne se prend pas au sérieux, mais il n’est pas pour autant dénué de justesse dans sa représentation des interactions sociales, c’est ce qui le rend divertissant.

Les répliques/doublages d’un autre temps fusent :

Steve : « Et ce sont ces insectes qui ont fait tout ça ? »

Hendriks : « Et ben… C’est pas le père Fouettard ! »


Earl : « même pas capable de chier tout seul… » 


Ray : « Mais pourquoi il est si gros ce fils de pute ?»

Megan : « Cette fille ! Seules les femelles sucent le sang. »

Hendriks : « Ah, ça veut tout dire ! »

  • Mosquito
  • Mosquito

Piqûre de rappel

De façon très subtile, le film présente la nécessité de cohésion propre à la survie. Ce qui n’est pas gagné d’avance, le groupe de braqueurs se confronte violemment au groupe de Hendriks, Ray, Megan, Steve avant d’affronter les moustiques tueurs ensemble. Le « male ego » est très récurrent dans ce film, on essaie d’impressionner, d’imposer par la violence, d’intimider. Il est intéressant de remarquer que ce sont les deux personnages appartenant à des minorités qui sortiront de cette dimension conflictuelle et qui se montreront les plus coopératifs et intelligents dans leur effort de survie : Steve, l’homme de science noir et Megan, la jeune ranger courageuse peu soutenue voire dénigrée par son petit-ami individualiste. C’est grâce à leur détermination commune et à leur communication que ce duo parvient à avancer au milieu du chaos. On peut y voir là encore une référence à la connivence homme noir/femme blanche vue dans La Nuit des morts-vivants. Le partenariat, la confiance et l’union des forces permettent le bien collectif et la survie. Mosquito présente un unique personnage féminin qui lutte tant verbalement que physiquement, que ce soit contre les moustiques ou contre ses agresseurs humains.

Peu avant l’attaque finale de la ferme par les moustiques, après avoir barricadé portes et fenêtres, les personnages partagent un moment de calme et parlent. Le témoignage de Steve est édifiant. Il évoque la nécessité pour lui d’avoir arboré une image de « méchant dur » quand il était jeune à Détroit : « il fallait assurer quelle que soit la situation ». Puis, il reconnaît avoir été profondément marqué par son expérience au Vietnam. Earl hoche silencieusement la tête en l’écoutant et Hendriks avoue avoir fait le Vietnam lui aussi. Une évocation filmée très simplement mais qui fixe un moment de lien et de compréhension mutuelle entre les trois vétérans (d’ailleurs le passé militaire des hommes est visuellement visible sur leur tenue à ce stade du film).

Cependant, seul le couple plus jeune survivra (un message inconscient au nom des vétérans ?) et à la grande surprise (ou pas), notre charismatique scientifique vétéran, qui bravera l’explosion de la maison en se cachant dans un frigo !

Mosquito

Les effets spéciaux, ça pique ?

Difficile d’animer une créature telle que le moustique… Pas aussi majestueuse qu’un requin, le film parvient toutefois à combiner trois techniques pour les mettre en scène : le stop-motion, les marionnettes (effets pratiques gores plutôt satisfaisants) et l’animation traditionnelle dans laquelle chaque plan est dessiné à la main (la scène où la nuée de moustiques se dirige vers la maison de ferme). Ce qui laisse un certain charme d’époque, avant l’essor des CGI.

Les trompes géantes (proboscis) sont très soignées et réalistes (composée par des pièces buccales vulnérantes ou stylets qui sont enveloppés par le labium souple qui se replie au moment de la piqûre). Elles empalent leurs victimes, des images efficaces qui font salement grincer les dents dans certaines scènes (dans l’œil d’un pêcheur/dans la fesse d’une campeuse/dans la cuisse d’un ranger/dans le thorax !)

Les moustiques sont exterminés à la hache et aux armes à feu, ce qui donne lieu à des explosions de marionnettes parfois cocasses. La mort de Junior, en particulier, offre une scène à l’aspect cartoonesque, avec ses yeux exorbités et frétillants. Tous ces effets combinés participent à l’efficacité des scènes d’action principalement nocturnes.

  • Mosquito
  • Mosquito
  • Mosquito

Hommages et références fun dans Mosquito

Plusieurs éléments propres au slasher se retrouvent dans le film, notamment le profil des victimes : des pêcheurs sur leur barque, un couple de campeurs qui baisent dans leur tente, des malfrats débiles…

Le ranger Hendriks, gauche et bougon, évoque l’adjoint au shérif Brody dans Jaws (Steven Spielberg, 1975).

On retrouve bien sûr Gunnar Hansen qui massacre du moustique à la tronçonneuse (« ça doit faire 20 ans que j’ai pas touché à un de ces jouets… ») dans un moment culte et meta, tout juste 20 ans après son rôle de Leatherface dans Massacre à la Tronçonneuse (1974). On peut le voir découper une porte et agiter la tronçonneuse au-dessus de sa tête vers la fin du film, en bonne parodie du film de Tobe Hooper. Hansen affirmera même plus tard que Mosquito fût le film dans lequel il a préféré jouer et que Earl était le personnage qu’il avait le plus aimé !

L’ouverture du film avec l’arrivée d’une capsule extraterrestre n’est pas sans rappeler The Thing (John Carpenter, 1982).

  • Mosquito
  • Mosquito

Pas de buzz pour Mosquito, ça fout le bourdon…

Mosquito reste un film de série B dynamique, un moment agréable 30 ans après sa sortie. Avec une écriture de personnages adultes loin d’être inintéressants, des répliques drôles et des effets généreux, il demeure probablement le film de moustiques tueurs le plus réussi. N’ayant malheureusement pas fait le buzz au cinéma, il est devenu culte lors de sa sortie en DVD en 1995. En 1992, Dracula de Coppola (à l’époque frais dans les mémoires) montrait un monstre légendaire empaler ses victimes puis sucer le sang pour s’en nourrir. Dans Mosquito, ce sont des nuées de Dracula qui agissent selon le même modus operandi… Qui veut venir camper cet été ?

Des stats à ressortir aux barbecues

En 2016, les moustiques faisaient en moyenne 1470 victimes en un seul jour.

De 1916 à 2016, les requins ont fait 1035 morts (source : Global Shark Attack File).


Laisser un commentaire