L’horreur est un genre qui se décline sur multitude de médias. Films, livres, jeux vidéo et même radio, ce genre a su se répandre sur nombre de supports. Mais en fonction des médias, la façon de faire de l’horreur peut changer considérablement. Il est donc intéressant de s’interroger sur les différences et similarités que ce genre peut apporter en fonction du support.

Comment la narration horrifique s’adapte et s’enrichit/se modernise grâce aux jeux vidéo ?

Nous verrons d’abord les principales similarités entre film et jeux vidéo d’horreur puis nous analyserons plus en détail les spécificités et évolutions du genre horrifique au contact du jeu vidéo.

Il n’y a pas 20 000 façons de construire une histoire horrifique, une ambiance angoissante et un phénomène/entité susceptible de faire du mal aux protagonistes suffit à activer le sentiment de peur chez le public (spectatrices/spectateurs, lectrices/lecteurs ou joueurs/joueuses). Il est donc normal de trouver des similarités entre films et jeux d’horreur.

Un des scénarios les plus utilisés dans les films d’horreur est le fameux groupe en vacances dans un chalet, souvent dans une forêt, souvent assez loin de toute vie humaine qui puisse vous entendre crier.

 Ce procédé scénaristique avec des personnages ayant des caractères clichés (Brandon le footballeur qui pense qu’il est possible de tuer un démon avec un gros bâton ou John, le gars beaucoup trop gentil et attachant pour qu’il survive jusqu’à la fin du film) a été utilisé à répétition dans d’innombrables longs métrages (Massacre à la tronçonneuse/Vendredi 13/Scream…). Il était donc naturel de retrouver ce procédé dans les jeux vidéo d’horreur, notamment au travers d’Until Dawn (Supermassive Games, 2015).

Ce jeu vidéo, véritable film interactif survival horror, est peut-être ce qui se rapproche le plus d’une expérience cinématographique dans le domaine des jeux vidéo. On peut le voir comme une immense cinématique orchestrée avec les codes du slasher, entrecoupée par des phases de QTE (quick time event, le joueur ou la joueuse doit appuyer sur un ou plusieurs boutons afin de passer à la séquence suivante) ou de prises de décisions de la part des joueur·euse·s sur les actions que doit effectuer le personnage, ce qui influencera la suite du scénario.

Une volonté des développeurs a d’ailleurs été que le public puisse reconnaitre les codes du slasher, du moins au début, pour ensuite briser leurs attentes, ce qui va induire un sentiment d’insécurité face à la perte des repères du genre. De l’aveu du producteur exécutif dans une interview pour Digital Ciné, ils recherchaient un scénario qui ressemble au « cliché du slasher américain ».

Découvrez ainsi l’histoire de Ashley, Chris, Emily, Jess, Josh, Math, Mike et Sam et tentez de faire les bons choix afin de les faire survivre jusqu’à l’arrivée des secours sur cette montagne peuplée de psychopathes et de créatures étranges.

Until Dawn

Le found footage est, depuis le début des années 2000, un sous-genre du cinéma fantastique qui n’a cessé de gagner en popularité au fil des années. De faux enregistrement balancés sur un écran de cinéma, c’est grosso modo ce qu’est le found footage.

  • The Blair Witch Project
  • Paranormal Activity
  • [•REC@

Racontant une histoire dont les protagonistes iels-mêmes ont filmé le déroulement, le genre nous immerge dans la situation et installe une atmosphère anxiogène, la faute/grâce à une qualité d’image dégradée. Beaucoup de films viennent en tête, [•REC], Paranormal Activity, Projet Blair Witch (le précurseur du genre). Alors avec un concept aussi simple, mais accrocheur que, vivre les évènements au travers d’une caméra, l’industrie du jeu vidéo n’a pas tardé à se jeter sur ce filon. Dans le premier Outlast (Red Barrels, 2013), Miles Upshur, un valeureux journaliste, se rend a l’asile de Mount Massive afin d’enquêter après avoir été alerté par un mystérieux informateur que des expériences inhumaines y seraient effectuées.

Arrivé à l’asile, Miles découvrira un bâtiment arpenté par des patients aussi fous que meurtriers et tentera d’informer sur la situation grâce à la seule arme qu’il possède, sa caméra. Dans Outlast, vous n’avez aucun moyen de vous défendre, filmer et courir serons les actions que vous ferez le plus souvent. La caméra, permettant d’illuminer des zones sombres (qui utilise encore des lampes torches ?) et la course, vous évitant une mort certaine dans les bras d’un des nombreux patients de l’asile.

Ici, outre l’ambiance peu rassurante de l’asile, la caméra qui vous servira pour vous éclairer et avoir des clés de compréhension de l’histoire joue un rôle central dans l’ambiance horrifique du titre. Cette dernière a une qualité d’image très dégradée en mode vision nocturne, accentuant le côté anxiogène, mais le coup de maitre des développeurs, c’est la durée de vie de la batterie de ladite caméra dans ce même mode de vision.

Très énergivore, il faudra constamment recharger l’objet avec des piles ce qui, malgré qu’elles soient abondantes en difficulté normale, ajoute une dose de stresse non négligeable aux joueurs. On voit donc que loin de renier les influences du cinéma d’horreur, le jeu vidéo reprend les codes qui constituent le genre et les retravaille afin de délivrer une expérience toujours plus immersive.

Car oui, le jeu vidéo apporte une plus-value de taille au genre horrifique, sans aller jusqu’à dire qu’un jeu vidéo est plus flippant qu’un film, il est aisé de distinguer (pour l’observateur⸱rice sans mauvaise foi) que le jeu vidéo a… quelque chose en plus.

En effet le film d’horreur crée une distance entre les protagonistes et le·la spectateur⸱rice. Ce manque de proximité peut entrainer, après de nombreux visionnages, un détachement entre la réalité et l’image projetée a l’écran ce qui conduit inévitablement à la perte du sentiment de peur chez le public.

Le jeu vidéo, lui, ne possède pas cet inconvénient de taille pour la simple et bonne raison qu’il est un jeu vidéo. À part quelques exceptions, les jeux d’horreur nous permettent de contrôler le personnage à l’écran, de l’incarner pour ainsi dire. Donc les actions que fait le personnage sont les nôtres et, ce qui nous intéresse ici, les ennemis qui attaquent notre personnage nous attaquent directement.

Selon le Larousse, la peur est « un sentiment d’angoisse éprouvé en présence ou à la pensée d’un danger, réel ou supposé, d’une menace ». Autant vous dire que quand votre personnage est dans un couloir sombre tandis que des bruits de pas lourds se font entendre peut importe qui vous êtes ou votre sensibilité à la peur, vous enfoncez le bouton de course, car la « pensée d’un danger » se fait très bien ressentir !

Nous sommes entre professionnel·le·s, Alien tout le monde connait, ainsi je ne vous ferais pas l’affront de résumer le film. Un alien très grand et très méchant, un vaisseau très serré et très fumant et un protagoniste vraiment très en danger, voilà la recette pour le film alien (du moins le premier). C’est cette recette magique en tête que les développeurs de chez Creative Assembly ont pondu (facehugger toussa toussa) le prodige Alien Isolation. Ici bien que l’histoire soit digne d’intérêt, nous n’allons pas nous attarder dessus.

Car c’est le xenomorph, principal ennemi du jeu, que nous allons analyser. Les petits génies de Creative Assembly ont choisi de lui procurer une IA adaptative qui, en fonction de vos actions, va agir et réagir pour vous contrer. Vous n’êtes pas contre une hitbox (zone localisée sur un ennemi qui vous inflige des dégâts) qui arpente les couloirs et se jette sur vous quand elle vous voit, mais contre un monstre vicieux qui vous observe, analysant les endroits où vous vous cachez le plus, utilisant les aérations et capable de vous tuer alors même que vous sauvegardez.

Vous ne devez plus simplement vous cacher, vous devez réfléchir à la façon de varier votre gameplay pour ne pas mourir. Vous devez survivre (le jeu est disponible sur Steam).

Alien Isolation

Survivre, voilà un objectif bien difficile à atteindre dans le prochain jeu présenté . . .

FromSoftware est un studio de jeux vidéo.

FromSoftware est le créateur de la licence Dark Souls.

FromSoftware veut que tu souffres.

Bloodborne est un jeu créé par FromSoftware donc, mais qui se base lui dans un univers plus lovecraftien.

Votre personnage arrive dans la ville de Yharnam en proie au chaos, de nombreux habitants se sont transformés en bête sauvages sorti tout droit du plus effroyable des cauchemars après avoir reçu du sang spécial donné par l’Église du remède, fondatrice d’une religion admettant que les dieux de cet univers soient dans un plan astral supérieur, invisible pour les humain·e·s non entrainé·e·s. Vous êtes un chasseur, et devez tuer les principales abominations de cette ville « pour leur bien ». Évoluant dans un univers sombre jonché de cadavres, l’atmosphère de Bloodborne est oppressante au possible, le jeu étant rempli de monstre décharné et de rêves pas toujours bons à faire. De plus, au fur et à mesure que vous avancerez dans l’histoire et combattrez des boss, vous serez capable de voir les immenses créatures astrales qui arpentent la ville, et ce n’est pas rassurant, pas rassurant du tout.

Le gameplay joue aussi un rôle majeur, aucune défense n’est possible, aucun bouclier n’est trouvable, il faudra jouer agressif au possible contre des boss qui font quatre fois votre taille, avec une arme blanche, un pistolet et une touche de parade. Autant vous dire que chaque erreur peut être fatale dans ce monde sombre où tout veut votre mort.

Bien que Bloodborne ne soit pas qualifié de jeu d’horreur, la tension permanente amenée par le gameplay, l’esthétique des lieux et des personnages, rongé·e·s par la maladie, et les actions immorales de l’Église du remède nous plongent dans un sentiment de peur et d’angoisse constante.

On peut donc observer ici un sentiment de peur qui viendrait aussi du gameplay, le fait d’être confronté à des êtres plus puissants et violents que nous (et souvent pas très beaux à voir il faut l’admettre) déclenchant une sérieuse envie de se cacher dans un trou et ne plus jamais sortir.

Bloodborne

Dead Space est souvent mis au rang des jeux d’horreurs les plus cultes, mais pourquoi cela ?

Immersion, c’est le maître mot de l’œuvre. Ici, pas de menu stoppant l’action ni de barre de vie en haut à gauche de l’écran, tous les éléments nous donnant des informations sur l’état d’Isaac (le personnage que l’on incarne), existent dans le jeu et sont manipulés par le personnage. La barre de vie est donc une jauge se trouvant sur le dos de la combinaison d’Isaac et l’inventaire un hologramme au creux de sa main.

Une immersion avant-gardiste pour l’époque (le jeu étant sorti en 2008) qui nous plonge véritablement dans l’horreur qu’abrite le vaisseau USG Ishimura (le jeu est lui aussi disponible sur Steam).

Dead Space

Et quoi de mieux pour l’immersion que la réalité virtuelle ?

Voilà une innovation du jeu vidéo qui sert tout à fait notre sujet.

Envie de vous téléporter dans un autre univers ? Aucun souci, enfilez un casque VR et vous pourrez arpenter les chemins sinueux de Bordeciel (Skyrim) ou survivre sur une planète essentiellement aquatique (Subnautica).

Mais qu’en est-il de l’horreur ?

Et bien ce n’est pas pour rien que le catalogue de jeux d’horreurs en VR est extrêmement fourni. Cette technologie, consistant en un casque/masque doté de petits écrans permettant au joueur d’être littéralement dans le jeu. Peut-on rêver plus immersif ?

Les plus grosses licences d’horreur ont d’ailleurs déjà créé des départements VR avec des jeux ou adaptations de jeux prestigieux tels que la série Resident Evil, Five Night at Freddys ou encore Alien Isolation cité plus haut.

Casque VR

On a donc pu voir que les jeux vidéo à travers de nombreuses mécaniques et astuces (manque d’interface, gameplay agressif obligatoire ou encore IA adaptative) peuvent instaurer un climat horrifique à leur guise tout en explorant un large panel de gameplay, d’histoires et d’atmosphères. Sublimé par l’immersion inhérente à ce média nous faisant incarner les personnages qui apparaissent à l’écran.

Tout au long de cet article, nous avons présenté de nombreux exemples mettant en avant les caractéristiques de l’horreur adaptées au jeu vidéo. Genre, gameplay, atmosphère, le média adapte et réinvente les codes de l’horreur pour une expérience toujours plus riche et immersive.

Cependant ceci n’est pas une liste exhaustive des apports du jeu vidéo au genre, de nombreuses tendances apportées par le jeu vidéo dans le genre horrifique ont été passées sous silence telles que le multijoueur, toujours plus présent dans la nouvelle génération de jeux d’horreur (Lethal Company, Outlast Trials, Phasmophobia).

Il est important de dire, toutefois, que cela n’enlève absolument rien a la qualité des films d’horreur, ce sont des médias différents qui n’utilisent pas les mêmes procédés pour toucher leur public. Le but de cet article et de relever les différences de traitement entre les deux médias par rapport a un même genre, celui de l’horreur.

À la lumière des affirmations de cet article, on peut tout de même se poser une question, avec l’arrivée de la VR, a-t-on atteint un plafond de verre en termes d’horreur ? Est-il possible d’aller encore plus loin dans la peur que d’être directement plongé et investi dans la scène horrifique ?


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