À l’occasion de la sortie du film Iris réalisé par Brandon Gotto et interprété par Margaux Colarusso, le duo créatif déjà auteur·e·s de Ida (2023) ou encore de Pandaemonium  (2023), revient sur la genèse de leur dernière œuvre :

Synopsis : Iris, une jeune artiste a du mal à trouver sa place dans ce monde. Tiraillée entre les injonctions de notre société qui lui demande de trouver un « vrai » travail, un environnement familial très toxique et son amour pour une femme, Iris devra affronter différents types de violences !

Tranchant avec le style de leur production précédente, Iris emmène son public dans les méandres de la noirceur humaine tout en brossant le portrait d’une jeune artiste qui refuse de succomber.

Margaux Colarusso et Alizé Nickolson (Iris - 2024)
Margaux Colarusso et Alizé Nickolson (Iris – 2024)

Par rapport à votre filmographie, Iris se distingue parce que l’histoire évolue dans un genre différent que celui que vous proposez généralement, à savoir le genre horreur/thriller. Pourquoi avoir fait ce choix du drame social plutôt que du genre horreur ?

B. Gotto : En réalité, Iris était un scénario que j’avais écrit bien avant de réaliser mes précédents longs-métrages. À l’époque (2021), je ne me sentais pas prêt. J’aime mon précédent film, Pandaemonium, mais avec le recul, j’ai trouvé ma réalisation paresseuse. Ça commençait à devenir « mou du genou ». Je trouvais que je n’avais plus la fougue d’il y a quelques années, celle de mes débuts. J’ai donc ressorti, presque par hasard, le scénario de Iris en m’attendant à lire quelque chose de catastrophique et, à ma grande surprise, je l’ai trouvé très incarné, personnel, mature. L’excitation qui m’a envahi à la relecture, mêlée au fait que ce film pouvait constituer un contre-pied dans ma filmographie, m’a beaucoup motivé à réaliser ce film.

Pouvez-vous nous parler un peu des enjeux soulevés par votre œuvre sans forcément en dévoiler la trame ?

B. Gotto : C’est le portrait brûlant d’une jeune femme en quête d’amour et d’acceptation. Avec ce film, je souhaitais exorciser tous les tabous familiaux alimentés par les tensions que nous avons tous expérimentées un jour. Je voulais aussi ouvrir mon cinéma à une certaine émotion. Mes précédents films étaient assez fermés émotionnellement, beaucoup plus austères. Ici, avec Iris, nous ouvrons les vannes si je puis dire.

Avec Iris, on assiste à une horreur plus sociale que fantastique, quelles étaient vos intentions en réalisant ce film ?

B. Gotto : En effet, la noirceur qui plane sur ma filmographie est toujours présente. Je ne sais pas ni pourquoi ni d’où ça vient exactement, mais j’imagine que la tentation d’une dramaturgie sombre m’inspire et m’alimente en tant que cinéaste. C’est clair que ça ne me branche pas de réaliser des comédies ou des films tout beaux, tout lisse. Ça m’ennuierait beaucoup.

Le film aborde des thématiques assez sombres, bien qu’importantes comme le suicide, la violence domestique et familiale, le mal être social qui sont « illustrées » dans votre métrage par des scènes assez dures. Quelles scènes ont été les plus compliquées à mettre en place ?

B. Gotto : Avec de bons comédiens, tout est plus facile. La séquence de la dispute à la fin représentait un moment crucial du tournage et du film d’une manière générale. Beaucoup de dialogues, beaucoup de rigueur à maintenir sur la longueur des plans capturés. La séquence de rencontre au parc entre Iris et Alice était aussi complexe à mettre en boîte, car elle servait de conclusion à l’exposition. C’était au beau milieu d’un parc en région parisienne, avec beaucoup de passants et beaucoup de bruit. Mais étrangement, toutes les difficultés qu’a comportées le tournage m’ont beaucoup excité et m’ont ramené à cette fougue dont je parlais plus haut.

Le personnage d’Iris est un personnage en pleine rébellion et en complète opposition avec les injonctions sociétales. C’est une artiste à qui l’on demande d’avoir un « vrai » travail, elle aime une autre femme, et de fait elle est marginalisée. Comment avez-vous abordé la construction du personnage d’Iris, qui porte sur ses épaules toute l’histoire du film ?

M. Colarusso : Le personnage d’Iris est un personnage qui résonne en moi pour sa fragilité intérieure, son sentiment d’incompréhension et sa détermination à vouloir vivre de sa passion. Ce sont des choses que je connais trop bien. Le fait qu’elle aime une autre femme et qu’elle le cache à ses parents, par crainte, était intéressant à aborder dans le film. Même si nous vivons à une époque où l’homosexualité est de plus en plus exposée et assumée, il y a malgré tout encore beaucoup de personnes qui la rejettent et de nombreux jeunes qui ont peur de se dévoiler à cause de la société. À travers le film, on évoque l’importance d’être accepté et l’impact que cela peut avoir. Car au final, rien n’est plus important que d’être compris, accepté et aimé.

Pourrait-on dire qu’il y a une certaine filiation entre le personnage d’Iris et celui d’Anna dans le court-métrage Focus, bien que la fin de Focus soit plus positive que celui d’Iris ?

M. Colarusso : En quelque sorte, ce sont deux femmes qui se sentent incomprises par leurs proches. Elles traversent toutes les deux des épreuves sombres, liées de près ou de loin à la société actuelle. Les deux films invitent à la réflexion et portent un précieux message.

La bouée de sauvetage d’Iris est son grand-père, lui-même artiste, qui apparaît comme le seul protagoniste positif dans le film et que l’on pourrait voir comme une espèce d’incarnation de l’expression artistique. Dans Focus aussi, Anna qui souffre d’anxiété utilise un appareil photo pour lutter contre sa maladie. Pensez-vous que l’art peut servir à transformer le monde qui nous entoure et/ou à l’affronter ?

M. Colarusso : Absolument ! L’art est un outil très puissant. Il aide à s’exprimer, il incite à la réflexion, il apporte de la lumière et de l’optimisme dans le monde. Un monde qui, d’ailleurs, en a énormément besoin à l’heure actuelle. L’art, sous toutes ses formes, aide à voir et à affronter les choses de manière plus positive.

Le film a été diffusé dans des salles de cinéma, quels retours avez-vous reçus ? Est-ce important pour vous d’avoir vos métrages diffusés en salle ?

B. Gotto : Alors, pas encore, mais à la fin du mois se tiendra la première projection publique du film et, bien entendu, pouvoir montrer le film à des spectateurs dans les conditions souhaitées et adéquates, c’est merveilleux. De même qu’échanger avec le public après chaque projection. Ce sont aussi des moments privilégiés qui permettent de se retrouver avec toute l’équipe.

Focus de Margaux Colarusso - 2024
Focus de Margaux Colarusso – 2024

Si je ne m’abuse, le public pourra le découvrir sur Amazon Prime. Pour un cinéma indépendant qui n’a pas toujours accès aux salles de cinéma, pensez-vous que les plateformes VOD puissent aider à son développement ou du moins à trouver un débouché pour sa diffusion ?

B. Gotto : Ces projections en salles sont des moments hors du temps, car effectivement, pour des productions indépendantes, c’est compliqué d’avoir accès aux salles. C’est pour cela que j’en profite pour rendre un petit hommage à mon ami Vivian Audag, exploitant de salles, qui nous permet d’organiser ces projections au sein de son cinéma sans demander la moindre compensation. Les plateformes nous permettent de récupérer nos billes. Pas énormément, mais un petit peu. Les plateformes apportent une visibilité certaine, mais le film étant distribué avec une pluie d’autres films (plus gros, financés), les avis sont plus tranchants. Les spectateurs enchaînent plusieurs films d’affilée sans se dire : « celui-là a un gros budget, celui-là non ». Il faut savoir encaisser.

Avez-vous une anecdote de tournage sur le film Iris à nous partager ?

B. Gotto : Pour les plus observateurs, le bureau dans lequel Iris a son entretien à l’agence de l’emploi est le même que celui du gynécologue dans « Gravidam ». Les murs sont partiellement peints en rouge, et outre le fait de réutiliser ce bureau dans lequel nous avions tourné quelques années auparavant, le rouge, ainsi que son historique et son poids cinématographique, représentent parfaitement le danger que constitue cet entretien dans la vie d’Iris à ce moment précis.

Vos productions s’inscrivent dans le cinéma indépendant, quels sont les contraintes et les avantages d’un tel type de production ?

B. Gotto : L’avantage est que nous pouvons décider du « quand », « comment » et surtout du « pourquoi ». Les inconvénients sont qu’en l’absence de structure et de subsides du milieu, c’est compliqué d’avoir accès à certains festivals, certaines salles, certains décors. C’est difficile. Nos moyens sont également limités. On fait avec ce qu’on trouve. Cela dit, malgré tout, je ne me plains pas du parcours et de la fabrication de chacun de nos films, car l’un dans l’autre, nous avons été chanceux. Même si on souhaite toujours plus, je suis très reconnaissant du chemin parcouru jusqu’ici. Sans pour autant m’en contenter, bien sûr. Je suis toujours aussi désireux de repousser les limites, de me remettre profondément en question.

Vous avez une cadence de production plutôt élevée tout en gardant une qualité de production. Quelles sont vos méthodes pour y arriver ? Qu’est-ce qui vous inspire pour l’écriture de vos métrages ?

B. Gotto : Ça a explosé avec un ancien collaborateur pour cette raison. Tout allait trop vite pour cette personne. Quand il s’agit d’impératifs de production, de distribution, de grosses structures, je comprends que cela puisse prendre du temps. Mais en tant qu’indépendant, avec une équipe très réduite de jeunes gens passionnés, il ne faut pas attendre que le bon Dieu redescende sur terre. Attendre pour le plaisir d’attendre et se reposer sur ses lauriers pour faire les malins, ça me met hors de moi. Je lance un train : tu montes ou pas. Ce n’est pas mon problème. Le temps file à une vitesse vertigineuse et effrayante. Je veux tourner. Je veux faire des films, tant que la santé nous le permet. Je ne supporte pas quand des gens de mon âge me disent qu’il ne faut pas aller trop vite. C’est une vaste blague. Pour ce qui est de l’inspiration et des idées, c’est déjà tracé depuis quelques années. Je fais ce qui est faisable quand les moyens le permettent et surtout quand la maturité est en accord avec le projet choisi. Mais l’humain et sa noirceur sont ce qui me parle le plus. Autrefois je fantasmais sur le fait de réaliser des gros films d’action, de science-fiction, etc. Plus aujourd’hui. Tout ça m’ennuie, me laisse froid. Et puis il y a déjà beaucoup de films de ce genre. Autant explorer des sentiers peu explorés.

Vous avez réalisé et interprété un personnage dans le court-métrage The Dark Eyes sur une idée de Philippe Soares Salgado, un des créateurs du Frissons Festival. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?

M. Colarusso : J’ai aimé l’idée de son court-métrage, étant amatrice d’horreur, et j’ai donc accepté le rôle qu’il m’a proposé. Et je dois dire que nous nous sommes bien amusés sur le tournage, malgré la chaleur étouffante qu’il faisait à ce moment-là !

B. Gotto : J’ai rencontré Philippe par le biais d’un ami commun. Il était désireux de faire un petit court-métrage d’horreur afin d’illustrer et de poser les bases de l’univers de sa marque. Je finissais tout juste Pandaemonium à l’époque, l’horreur était encore présente en moi, j’ai accepté de lui donner un coup de main. Mais je ne considère pas vraiment The Dark Eyes comme mon court-métrage. Je suis plus caméraman que réalisateur, tout le mérite revient à Philippe sur ce projet.

Le cinéma belge, souvent par le cinéma de genre, nous a souvent habitués à des films sans concession et abordant des thématiques sociétales, n’hésitant pas à évoquer des épisodes sombres du pays comme dans Megalomaniac ou encore Maldoror. Quel regard portez-vous sur le cinéma de genre belge actuel ?

B. Gotto : Je suis très admiratif de ces cinéastes belges qui proposent des œuvres plus genrées depuis quelques années. Grâce à ces nouveaux cinéastes, nous n’avons pas à rougir. Ça me rend fier, culturellement, de nos cinéastes, de notre pays. Quelle joie ! Concernant Maldoror, je trouve que c’est un grand film. Je suis né dans la ville où s’est déroulée l’affaire Dutroux et j’y ai grandi. Je suis tellement heureux que ce film existe. C’est magnifique de voir une si grande fresque tournée là où j’ai passé beaucoup de moments de ma vie. Ça m’électrise et ça m’émeut.

Quels sont les artistes (réalisation, interprétation) qui vous inspirent ?

M. Colarusso : Avec les années et la maturité acquise, je dois dire que, parmi les artistes qui m’inspirent énormément, il y a Kevin Costner. En tant qu’acteur, bien sûr, mais surtout en tant que réalisateur ! J’ai aussi de l’admiration pour Steven Spielberg, Tim Burton, Johnny Depp ou encore Tom Hanks, qui, d’une certaine manière, m’ont touché au fil des années à travers leurs films. D’autres également, mais qui ne sont pas liés à la réalisation ou au métier d’acteur.

B. Gotto : Fabrice Du Welz est un phare dans la nuit pour moi. Revoir ses films me remet sur le droit chemin. Il en va de même pour Gaspar Noé et son oeuvre, ou encore Zack Snyder, Xavier Dolan, Robert Eggers. Ces gars-là sont sans concessions et ont un style visuel très singulier. C’est inspirant. Beaucoup de films européens me font vibrer, m’ont inspiré, marqué. C’est difficile à définir. Il y a 10 ans, j’ai commencé à me faire une culture ciné. Chaque jour depuis, j’ai découvert plusieurs films par jour. Quelle aventure. Il y a des découvertes qui m’ont véritablement marqué.

Quels sont vos prochains projets à venir ?

M. Colarusso : Actuellement, j’écris mon 2ᵉ court-métrage que j’envisage de tourner dans plusieurs mois, si tout se passe bien. Il sera aussi sombre et psychologique que mon premier court-métrage, Focus, avec toujours cette envie de mener à la réflexion et de partager un message fort.

B. Gotto : Quelque chose d’immensément obscur pour ma part. Iris représente un tournant dans ma filmographie. Cela ne veut pas dire que je vais m’adoucir, loin de là, mais j’ai envie de traiter de choses universelles, noires, humaines, avec une passion palpable. Mais avant ça, un court-métrage réalisé en octobre dernier intitulé Clairvoyance, où pour la première fois je sens que j’ai réussi à toucher du doigt une certaine âpreté malaisante. Quelque chose d’obscur. J’ai beaucoup d’affection pour ce court qui est maintenant indissociable de ma filmographie.

Clairvoyance - Brandon Gotto
Clairvoyance – Brandon Gotto

Laisser un commentaire