Réalisé en 1988, après Le Jour des morts-vivants, l’excellent, mais trop mésestimé 3e opus de la saga des zombies du cinéaste de Pittsburgh, Incidents de parcours narre l’histoire d’Allan, un coureur prometteur devenu tétraplégique suite à un accident. Dépressif, Allan a du mal à surpasser son handicap qui l’empêche de se mouvoir, si ce n’est sa tête. Son ami Geoffrey, scientifique brillant qui étudie l’intelligence chez les primates, décide alors de solliciter Mélanie Parker qui entraîne des animaux pour venir en aide aux tétraplégiques. Geoffrey propose ainsi à la jeune femme d’intégrer Ella, un de ses singes capucins dans son programme afin de l’offrir à Allan. Aidé par Ella, Allan finit par reprendre goût à la vie et une relation fusionnelle se crée entre iels ! Mais très vite, d’étranges rêves viennent bientôt hanter les nuits d’Allan, qui se voit à travers les yeux d’Ella courir à travers la ville, alors que la petite guenon devient de plus en plus agressive avec l’entourage du jeune homme !

Monkey Shines

Relancée par le succès de Jaws (Les Dents de la mer) du sieur Steven Spielberg, la thématique des animaux tueurs s’enrichit dans les années 80 de nouveaux films qui mettent en scène des primates. Ainsi Link de Richard Franklin en 1986 ou Incidents de parcours qui nous intéresse ici, reprennent une tradition de films de singes tueurs débutés par l’adaptation de la nouvelle de Edgar Alan Poe, Double assassinat dans la rue Morgue de Robert Florey en 1932 et King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack en 1933.

De King Kong à Frankenstein, George A. Romero s’inspire ici de mythes classiques du cinéma et de la littérature, mais encore une fois, le cinéaste prend prétexte du cinéma d’horreur ou du thriller pour aborder des thématiques qui lui tiennent à cœur : les marginaux rejetés par la société (ici les personnes atteintes de handicap), le délitement des liens familiaux, mais aussi la révolte des opprimé·e·s dont les monstres n’en sont finalement que l’incarnation. Comme souvent chez Romero, ce qui est important, ce sont les relations entre les personnages plus que le danger surnaturel qui s’abat sur iels et qui, en définitive, ne fait que révéler les failles qui existent au sein des groupes sociaux.   Ainsi Allan, suite à son accident, se voit abandonner par tout son entourage, par ses ami·e·s, son entraineur, y compris par sa fiancée, le faisant plonger dans la dépression. Seul Geoffrey, une sorte de Dr Frankenstein qui fait secrètement des expériences sur des singes capucins afin d’augmenter leur intelligence, reste à ses côtés. Et même si son désir d’aider son ami Allan est sincère, il voit dans la situation une occasion de tester les capacités cérébrales d’Ella, ce qui pourrait le rendre célèbre ! L’entrée d’Ella et de Mélanie dans la vie d’Allan va donc redonner espoir au jeune homme. La petite guenon devient les bras d’Allan, l’aidant à effectuer toutes les tâches quotidiennes qui lui étaient auparavant impossibles à effectuer. Cependant qu’Allan et Mélanie se rapprochent sentimentalement, les esprits d’Ella et du jeune homme fusionnent étrangement de plus en plus et on comprend que le sérum que Geoffrey injecte régulièrement à Ella, et a à l’insu de tout le monde, y est pour quelque chose. Mais malgré l’amélioration du moral d’Allan, la frustration due à son handicap et la rage qui en découle sont toujours présentes en lui. Ainsi, ses relations avec une infirmière acariâtre, interprétée par Christine Forrest ex-femme et fidèle actrice de George A. Romero, et surtout avec sa mère, femme castratrice s’il en est, se font de plus en plus violentes ! Mystérieusement, les morts s’accumulent autour du jeune homme et rapidement les soupçons se portent sur la petite guenon qui se montre de plus en plus jalouse.

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Les vingt dernières minutes du métrage basculent ainsi brillamment dans un huis clos horrifique d’une grande intensité dramatique au cours duquel Ella déverse toute sa folie meurtrière sur les proches d’Allan. George A. Romero joue ainsi habillement sur l’opposition entre l’incapacité du jeune homme à se mouvoir et l’agilité de la petite guenon pour créer une séquence dramatique et effrayante accentuée par un traitement rendant hommage aux classiques du cinéma d’horreur : orage, coins sombres, jeu de cache-cache entre les victimes et le « monstre »…Cependant, tout au long du film, la sympathie des spectateur·trice·s se porte bien sur la jeune Ella. Parce que tout d’abord cobaye non consentant de l’apprenti sorcier Geoffrey, qui voit en elle un moyen d’arriver à ses fins, Ella devient « l’esclave » d’Allan. Mais, s’il est vrai que si celui-ci la traite avec humanité, elle finit malgré tout par devenir le respectable de toutes les pulsions violentes d’Allan, de ses frustrations, de sa colère, dont le comportement agressif de la petite guenon n’en est finalement que l’incarnation. Les différents plans de champs contre champs sur les dents respectives d’Ella et d’Allan lorsque celui-ci s’énerve, est la parfaite illustration de cette contamination qui s’opère entre les deux personnages. Les canines du jeune homme prenant la même forme que celle de la jeune guenon ! Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas le côté animal d’Ella qui est la source de la violence qui s’abat sur l’entourage du jeune homme, mais bien le côté bestial de la partie humaine d’Allan ! Aussi, la dernière séquence peut-elle être aussi vue comme la révolte de l’opprimé, une autre thématique chère à George A. Romero ! Ella ne fait finalement que se rebeller contre ses « maitres » qui ne voient en elle qu’un moyen pour satisfaire leurs désirs.


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