La Route de Salina

Je peux à peine croire à ma situation, je cours à perdre haleine sur l’unique route de Salina. Derrière moi, une femme armée d’un pistolet. Je ne la connait pas mais elle n’a pas hésité à me tirer dessus. Si je compte bien, il ne lui reste qu’une seule balle et elle doit le savoir aussi. Elle me talonne, portée par la rage, en criant des mots que le vent emporte avant qu’ils n’atteignent mes oreilles. Mon cœur bat à tout rompre et mes poumons brûlent mais la peur me pousse en avant. Je me risque à jeter un œil en arrière et vois son visage déformé par une colère incompréhensible. Était-ce une erreur ? Une méprise qui l’a poussée vers cette folie ?
Je trébuche sur une pierre et me rattrape de justesse avant de tomber dans le précipice que longe la route. Elle ne ralentit pas, son regard fixé sur moi. La route s’arrête au bord du vide. Dans un acte désespéré, je me tourne vers elle, je voulais lui demander pourquoi. Mais les mots ne viennent pas. Sans ralentir, elle me heurte en hurlant « meurtrier » et, ensemble, nous chutons sur la route. Un coup de feu retenti … je suis touché.
Alors que nous nous relevons, je comprend, cette femme me poursuit parce que j’ai tué sa famille. J’ai commis une petite erreur, je croyait que seuls deux membres de cette famille habitaient ici mais elle est la fille que j’ignorais, la troisième victime non prévue dans mon plan.
Je comprend qu’elle m’en veuille mais c’est son père qui a enfreint les règles. Mon contrat ne concernait que sa femme et lui, je ne veux aucun mal à cette fille. Je n’était qu’un gentil tueur à gages qui faisait son boulot. Elle s’est vengée et maintenant ? Ses parents sont toujours morts… Pourquoi tant de haine ?
Un joli corps qu’il faut tuer

Elle est d’une beauté envoûtante, attire les regards avides et devient malgré elle une proie convoitée. Les gens ne voient pas au-delà de son apparence et leurs désirs incessants transforment sa vie en cauchemar. Chaque jour, elle endure des remarques déplacées et des avances non sollicitées, prisonnière de son propre corps.
Pour se protéger, elle commence à se mutiler en espérant que ses cicatrices éloigneront les prédateurs. Ses bras, ses jambes ou encore son ventre, autrefois parfaits, sont maintenant couverts de marques. Cependant, même son corps marqué ne parvient pas à dissuader les regards sur elle. La douleur physique devient un refuge face à l’angoisse qui la ronge. Elle évite les miroirs, incapable de supporter la vue de cette beauté maudite. La pression constante et les remarques obscènes la poussent à haïr davantage ce corps. Elle sombre, une dépression profonde, dans une existence qu’elle n’a pas choisie.
Jamais elle n’a eu l’impression d’être aimée pour ce qu’elle est. On a aimé son corps et il a été abusé plus d’une fois. Elle ne connaît pas ce sentiment d’être aimée pour la personne qu’elle est. Elle n’est qu’un être invisible qui ne peut exister derrière l’éclat éblouissant de sa beauté. Même ceux qui ont profité de son corps ne sont jamais arrivés à la toucher réellement. Elle perd progressivement espoir dans cette lutte quotidienne pour exister. Un soir, après une énième remarque, elle atteint son point de non-retour. Elle regarde une dernière fois, dans le miroir, ce reflet symbolisant toute la douleur de ses années de souffrance.
Calmement, elle rassemble ses médicaments. Une lettre d’adieu pour expliquer sa décision et espérer que ceux qu’elle laisse comprendront enfin sa douleur. Son visage reste neutre alors qu’elle avale les pilules. Un dernier souffle et elle s’éteint avec l’espoir d’enfin trouver, dans la mort, la paix que son apparence lui a refusée de son vivant.
La mort remonte à hier soir

Un homme banal se réveille à 6h30, prépare son café et parcourt sans enthousiasme les nouvelles sur son téléphone avant de partir au travail. Il passe la matinée à répondre à des emails monotones et assiste à une réunion d’équipe ennuyante où il présente un rapport sur des ventes sans intérêt. À midi, il mange un sandwich insipide et des chips à son bureau, seul, tout en regardant des vidéos pour tuer le temps. L’après-midi se traîne alors qu’il finalise, sans passion, un projet pour un client. À 18h, il quitte enfin le bureau et rejoint ses amis au restaurant. Ils discutent de banalités et partagent des anecdotes déjà entendues. Ne buvant pas d’alcool, il les raccompagne chez eux avant de rentrer à 22h, il se détend en regardant un épisode de sa série préférée puis s’endort, épuisé par la routine.
Cette journée répétitive aurait pu être la sienne mais, en réalité, il est mort la veille dans un accident de voiture en rentrant du travail. Un chauffard ivre a percuté son véhicule, mettant fin brutalement à sa vie ordinaire. Une mort qui le prive de nombreuses journées inintéressantes qu’il aurait pris plaisir à vivre. Ses collègues continuent leur routine sans se rendre compte de son absence.
Perdu dans les limbes, il se souvient de tous les petits bonheurs de la vie : boire, manger, rire… Profiter de la vie. Pourquoi attendre ? Pourquoi regarder les autres vivre au lieu de vivre sa propre vie ? Il a tout gâché, peu vécu… finalement, sa mort ne remonte pas à hier soir mais à plusieurs années.

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