À ce moment je pensais que le PC allait être possédé par un jeu Flash. 

J’avais 12 ans et j’étais quasiment obnubilée par la série animée My Little Pony. À chaque fois que je visitais ma grande tante, je me jouissais d’une liberté particulière par rapport au temps que l’on m’autorisait devant l’écran. Et à chaque fois je cherchais et jouais à tous les jeux vidéo My Little Pony que j’étais en mesure de trouver sur Internet. Par la simple loi des mathématiques et des statistiques, un jour j’allais tomber sur quelque chose de moins ordinaire. Et certes, lors d’un lointain après-midi tout banal, je cliquai sur un lien qui me dirigea vers un jeu intitulé Friendship is 8-bit: Story of the Blanks (L’amitié est 8 bits : L’histoire des flancs vierges).

Mon intérêt ayant été éveillé par les graphiques rétro et par la musique charmante, je n’aurais pas su prévoir la vraie nature de ce jeu. Peu habituée aux jeux d’horreur et encore sous l’influence incontestable des creepypastas comme Sonic.exe ou Ben Drowned (je croyais fermement que je pouvais atteindre l’esprit de Ben à travers ChatBot), au moment où le jeu prit une inattendue tournure vers l’horreur, je fus choquée au point de fermer la fenêtre et presque me mettre à pleurer.  

Séquence de début du jeu Story of the Blanks en Sunny Town
Rien de suspect dans ce petit village… (C : https://www.youtube.com/@nnse)

Courte épopée d’une ponette perdue

Friendship is 8-bit: Story of the Blanks fut réalisé en 2011 par Donitz, un utilisateur anonyme du site web NewGrounds, plate-forme d’hébergement de contenu généré par les utilisateurs, pour la compétition de développement de jeux vidéo Equestria Gaming. Ce jeu comprend une courte expérience de gaming inspirée par les jeux NES (Nintendo Entertaining System). 1 Non seulement sont les graphiques du jeu en 8 bits, rappelant des jeux Nintendo des années 80, mais les bandes-son originales furent également composées dans le logiciel FamiTracker, un séquenceur musical pour les systèmes NES.2

Story of the Blanks suit une histoire ayant comme protagoniste la ponette Appel Bloom, personnage épisodique et sœur du personnage principal de la série My Little Pony, Applejack. Apple Bloom croise la licorne Twilight Sparkle, en route pour voir la zèbre sorcière Zecora dans la mystérieuse Forêt Everfree, et insiste pour l’accompagner. Après une rencontre inquiétante avec Zecora, qui les presse de quitter les lieux sans tarder, leur retour est perturbé par des arbres tombés, bloquant leur chemin. Alors qu’elles cherchent une issue, Apple Bloom aperçoit une silhouette étrange et se lance à sa poursuite, disparaissant dans l’obscurité de la forêt.

Elle se retrouve bientôt dans un village isolé et troublant, Sunny Town, où les habitants, tous adultes, n’ont étrangement pas de marque de beauté. Une atmosphère oppressante pèse sur les lieux. En explorant plus loin, Apple Bloom découvre des indices sinistres, révélant un sombre secret enfoui. Tandis que la situation devient de plus en plus effrayante, une force mystérieuse lui offre une chance de fuir et quitter l’ombre de la forêt…

Point culminant du jeu vidéo My Little Pony, Story of the Blanks
Une découverte épouvantable (C : https://www.youtube.com/@SuperPinkieCupcake)

L’horreur de la mignonnerie maudite

Bien sûr, le jeu joue sur le contraste entre attente et réalité, en employant l’astuce psychologique du « truc mignon terni et maléfique » présent dans toute une pléthore the média d’horreur. On voit cette stratégie dans les films d’horreur les plus emblématiques, de la possession perturbante de Reagan dans The Exorcist, aux phantasmes affolants des jumelles de The Shilling, jusqu’à la cinématographie la plus récente, voire le film There’s Something Wrong with the Children sorti en 2023. Pareillement, la série télévisée pour enfants My Little Pony n’inspire pas un effroi absolu, et c’est pour ça que Story of the Blanks marche tellement bien (au moins pour moi à mes jeunes 12 années).  

L’atmosphère ne dégage jamais de l’assurance à 100 % et pourtant, le changement brusque d’ambiance vers la fin du jeu bouleverse l’esprit. En plus, la bande-son, soigneusement élaborée par les utilisateur•trice•s NewGrounds CRTified Technician, Zero V2 et DarkNES forge un air de tranquillité et de nouveauté, juste pour le briser à jamais à la suite du point culminant de l’histoire.3

Toutefois, Story of the Blanks est loin d’être une épreuve complexe qui change la vie des joueurs et joueuses. Le gameplay est simple et linéaire et consiste à en explorer les nouveaux environnements, en dialoguer avec les PNJ et en résolvant des puzzles pour arriver à la fin de l’énigme. Si le jeu fait moins peur aujourd’hui, il reste une expérience complète et fascinante pour les amateur•trices de jeux vidéo rétro, une œuvre visiblement née de l’amour pour My Little Pony et pour les jeux électroniques.

Page du jeu Story of the Blanks sur le site NewGrounds sur macOS n'affiche aucun contenu lors du démarrage
Aaand it’s blank…

La mort de Flash entraine une entrave…

Néanmoins, le 12 janvier 2021, tout contenu dépendant d’Adobe Flash Player arrêta de fonctionner. Pendant des années, le plug-in avait été la cible des attaques de piratage en ligne, à tel point que certains navigateurs web avaient commencé de désactiver les contenus Flash par raison de sécurité. Même des figures notables du monde numérique, comme l’ancien PDG d’Apple Steve Jobs et Alex Stamos, l’ancien chef de la sécurité de Facebook, soutinrent ouvertement la suppression de cette technologie.4

Bien que l’abandon d’Adobe Flash Player fut une décision nécessaire et largement positive, il est impossible d’empêcher une pensée nostalgique, pesante à propos de cette question. Qu’est-ce qui va arriver à tous les jeux Flash qui saupoudrèrent mon enfance de petites joies ? Et comment pourrai-je faire vivre à mes amis cette petite expérience My Little Pony qui m’horrifia et qui conquit mon cœur ?

Sur MacOS il s’avéra impossible de trouver une variante de jouer à Story of the Blanks en ligne. Sur le site Newgrounds.com, j’attendis en vain de dizaines de minutes pour que le jeu charge, pendant que je lisais des commentaires publiés même deux semaines avant mes tentatives. L’émulateur Ruffle, encore en état beta, ne fonctionne pas sur la section d’archive.org dédiée à Story of the Blancs. Ni même l’archive à télécharger Flashpoint Infinity ne m’aida pas à revivre l’expérience que j’eus il y a presque 10 ans chez ma grand-tante. 

Sans entrainer des sentiments mélancoliques excessifs, il faut remarquer le côté bien tragique et sans pitié de l’accélération de l’obsolescence de la technologie et de la perte des chers souvenirs de l’enfance que celle-ci implique. Ainsi, ces symboles d’un doux passé pour toujours perdus restent à la miséricorde de notre mémoire humaine finie, des vestiges inaccessibles, des lost media.

C’est pour cela que j’aimerais dédier cet article aux tou•te•s qui ont contribué à la réalisation des projets d’archivage de l’histoire de l’Internet qui représente une importante, mais peu reconnue partie de notre histoire, les infimes du présent. Ode à vous, Gardien•ne•s des Parchements numériques ! Vous faites vivre nos chers souvenirs et rendez accessible au monde entier de précieux savoirs.

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