“Dieu crée des ennemis pour accomplir son bien.”
C’est par cette phrase glaçante que Mary (incarnée par Stefani Scott), protagoniste du film The Last Thing Mary Saw d’Edoardo Vitaletti, résume l’idéologie toxique au cœur du récit. Ce thriller horrifique, disponible sur Shadowz, distille une tension lente et insidieuse, moins nourrie par le surnaturel que par l’horreur bien réelle des oppressions humaines. À travers une atmosphère étouffante et une esthétique austère, le film met en scène une communauté religieuse où l’homosexualité est non seulement interdite, mais aussi punie avec une violence ritualisée.

Vitaletti y dévoile une mécanique perverse : celle d’un pouvoir religieux qui, sous couvert de morale divine, fabrique des ennemis pour mieux conforter son pouvoir. Loin de défendre une foi lumineuse, le film explore une spiritualité corrompue, où la souffrance est sacralisée et l’amour devient une menace à éradiquer. Dès lors, The Last Thing Mary Saw ne se contente pas de faire peur : il dérange, interroge et dénonce.
Créer des coupables pour mieux régner
Mary est issue d’une famille noble strictement religieuse, dans la ville de Southold en 1843. Dès les premières scènes, une tension sourde s’installe : Mary et Eleanor, la servante de la maison, s’aiment en secret. Mais leur relation est découverte par les parents de Mary, qui décident d’en référer à la matriarche de la famille, figure austère et autoritaire.
La sanction est immédiate : les deux jeunes femmes sont contraintes de s’agenouiller sur du riz, les mains jointes en prière, soumises à une douleur ritualisée censée expier leur faute. Dans l’univers oppressant du film, Dieu est omniprésent, mais jamais clément. Il s’incarne dans l’autorité froide et implacable de la matriarche, qui utilise la religion comme instrument de contrôle.
L’amour interdit entre Mary et Eleanor devient le prétexte idéal pour exercer des punitions cruelles : humiliations, isolement, surveillance constante. Les deux amantes sont désignées comme ennemies non pas parce qu’elles représentent un véritable danger, mais parce qu’elles incarnent une différence qui dérange, une liberté qui effraie, une passion qui échappe au contrôle. Elles ne sont pas punies pour ce qu’elles font, mais pour ce qu’elles sont, deux femmes qui s’aiment, qui osent vivre une passion hors des normes établies.
Interdites de se voir, Mary et Eleanor trouvent refuge chaque nuit dans le poulailler, à l’abri du regard des autres. Mais leur intimité est surprise par Matthew, le jeune frère de Mary, qui les dénonce à nouveau.
Mary tient alors des paroles lourdes de sens : « God creates enemies in order to perform his good » qui signifie en français « Dieu crée des ennemis pour accomplir son bien« . À travers ceci, Mary dénonce une idéologie hypocrite: celle qui consiste à fabriquer des coupables pour mieux asseoir une autorité prétendument divine. Ce « bien » invoqué n’est en réalité qu’un outil de domination, un masque derrière lequel se cachent la peur, le rejet, et la volonté de contrôler.
Dans cette société où l’ordre religieux prime sur l’humain, désigner un « ennemi » permet de canaliser les tensions, de réaffirmer le pouvoir de la matriarche, et de justifier des actes d’une brutalité extrême. C’est une stratégie de pouvoir ancestrale : inventer des fautifs pour donner un sens à une violence que l’on ne veut pas interroger.
L’amour entre Mary et Eleanor, sincère, doux, subversif dans ce contexte, devient alors un sacrifice offert sur l’autel du « bien ». Un amour sacrifié pour maintenir l’ordre. Un amour perçu non comme un droit, mais comme une menace. La citation prend ainsi tout son sens : dans ce monde fermé, Dieu ne révèle pas le mal, il le crée. Non pour le combattre, mais pour avoir une raison d’imposer sa loi.
La fausse vertu des punitions religieuses
Ces coupables créés de toute pièce deviennent le théâtre de punitions religieuses violentes. Prenons l’exemple de l’agenouillement sur le riz. Cette punition ancestrale, très présente dans les familles religieuses, consiste à poser les genoux sur du riz pendant un certain temps. Le poids du corps s’entasse dans les genoux, qui écrasant le riz, deviennent très douloureux. Ce geste barbare est alors justifié par la foi, bien qu’il soit un moyen de torture parmi tant d’autres. À travers cette punition, un symbolisme bien plus profond se révèle. Certains y voient une analogie troublante avec le livor mortis, ou lividités cadavériques, une étape avancée du processus de la mort. Il s’agit du moment où le sang, cessant de circuler, se fige dans les parties déclives du corps, formant des taches violacées caractéristiques. Un phénomène semblable semble se produire chez les vivants, marqués par la douleur physique infligée.
Mais ici, ces marques ne sont pas les signes passifs d’un corps qui s’éteint, elles sont imprimées de force, dans un but prétendument moral. Ce sont les empreintes d’une violence sanctifiée, où la souffrance devient un outil de contrôle. En sacralisant la douleur, ces pratiques effacent la frontière entre vie et mort, et révèlent une foi pervertie où l’amour divin s’exprime par la cruauté.
L’injustice sélective et la perversion morale
Alors que l’amour entre Mary et Eleanor est traqué sans relâche, la véritable violence, elle, reste impunie. Lors d’une scène tendue, un inconnu au visage marqué d’une tache de naissance agresse Eleanor dans la cuisine. Elle se défend en lui tranchant un doigt. Pourtant, aucune justice n’est rendue. Ce même homme revient plus tard lors des funérailles de la matriarche, mystérieusement décédée après avoir bu son thé, et interrompt la célébration par une nouvelle attaque.
À cette spirale de violence s’ajoute un empoisonnement collectif, vengeant le mal vécu par les deux amantes. Lors d’un dîner, Matthew boit un liquide échangé à la dernière seconde par un invité suspicieux. Il s’effondre, crachant une substance noire. Un à un, tous les membres de la famille meurent dans d’atroces convulsions. Seul l’homme aux suspicions survit.
Dans un dernier élan de joie, croyant enfin être libres, Mary et Eleanor s’embrassent. Mais leur bonheur est de courte durée : l’homme revient et abat froidement le survivant… puis Eleanor.
Un récit qui se lit à voix haute
La scène finale est d’une intensité saisissante : Mary, effondrée, demande des explications. L’homme, pétrifié, regarde derrière elle. La matriarche se lève… vivante. Elle révèle l’existence d’un livre mystérieux, ramené par le père de Mary, et force cette dernière à le lire à voix haute. Page après page, le récit du livre reflète exactement les événements que l’on vient de voir. Le film bascule alors dans une dimension méta : les personnages ne sont plus que les pions d’une histoire écrite d’avance. Mary lit les mots : « La servante morte » et « La femme noble aveugle ». La prophétie s’accomplit. La matriarche appuie ses doigts pointus sur les yeux de Mary, la rendant aveugle.
Un masque de cruauté
À travers The Last Thing Mary Saw, Edoardo Vitaletti livre bien plus qu’un film d’horreur : il construit une critique implacable des discours religieux dévoyés et des mécanismes de domination qu’ils nourrissent. La citation de Mary, “Dieu crée des ennemis pour accomplir son bien”, en devient le cœur battant. Loin d’un simple drame gothique, le film révèle une réalité glaçante : lorsque la foi cesse d’unir et commence à diviser, elle devient une arme de destruction.
Ce drame lent, silencieux et glaçant, agit comme un miroir tendu vers les dérives morales de certaines croyances. Il ne cherche pas à effrayer par le surnaturel, mais par une révélation profondément humaine : notre capacité à transformer la foi en instrument de peur, et la morale en justification de la cruauté.









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