Nous sommes aujourd’hui entourés de robots, machines et autres engins électroniques. La peur d’une éventuelle prise de contrôle sur le monde, d’un dépassement de l’humain, est un sujet récurrent dans les conversations modernes. Le film Uncanny (Disponible sur FreaksOn), réalisé par Matthew Leutwyler en 2015, nous plonge dans un huis clos oppressant où les frontières entre l’homme et l’intelligence artificielle deviennent floues, jusqu’à se confondre. Dans cet espace froid et technologique, l’apparence parfaite devient suspecte, et le réalisme des comportements trop précis finit par déranger.

Uncanny 2015

C’est à travers le regard de Joy, journaliste spécialisée en robotique, que le public découvre les deux figures centrales du récit : David, un génie un peu distant, et Adam, son chef-d’œuvre androïde. Pourtant, dès les premières scènes, quelque chose cloche. Adam semble trop humain pour être vrai… ou pas assez. Ce malaise, subtilement distillé tout au long du film, s’inscrit dans un concept bien connu de la robotique et de la psychologie : l’Uncanny Valley, ou la vallée de l’étrange.

À la frontière du réel

Le brillant David Kressen (incarné par Mark Webber) présente à une journaliste, Joy (jouée par Lucy Griffiths), venue passer une semaine à ses côtés pour rédiger un article, l’une de ses inventions les plus fascinantes : une peau synthétique capable d’imiter celle des humains, notamment en adaptant sa température. Selon lui, d’ici trois ans, tous les membres prosthétiques pourraient être équipés de cette peau si réaliste qu’elle pourrait tromper n’importe qui.

Mais l’invention la plus impressionnante de David reste Adam : un robot à l’intelligence artificielle hors norme, interprété par David Clayton Rogers. Plutôt que de concevoir un simple rival pour l’Homme, comme la plupart des autres roboticiens, David a voulu créer une entité capable de vivre avec et parmi nous. Il possède tout de l’Homme : ses qualités, ses défauts, ses émotions et ses failles.

À mesure que David et Joy se rapprochent, Adam développe des réactions inattendues : d’abord la jalousie, puis une colère grandissante envers son créateur. Sous nos yeux, il cesse d’être une machine pour devenir quelque chose de plus… quelque chose de profondément humain.

  • Uncanny, Matthew Leutwyler, 2015
  • Uncanny, Matthew Leutwyler, 2015

Le concept de Uncanny Valley

L’Uncanny Valley, ou vallée de l’étrange, est un concept utilisé pour décrire le malaise ressenti face à des entités artificielles, comme des robots humanoïdes ou des personnages générés par ordinateur, dont l’apparence est presque humaine, sans l’être totalement. Cette ressemblance incomplète provoque une sensation d’étrangeté, de gêne, voire de rejet, car notre cerveau perçoit une anomalie subtile entre ce qui semble humain et ce qui ne l’est pas vraiment. Plus l’apparence devient réaliste sans atteindre la perfection, plus ce malaise s’intensifie, franchissant un seuil critique : celui de la vallée de l’étrange.

Ce concept a été formulé en 1970 par Masahiro Mori, un roboticien japonais. Dans un article intitulé Bukimi no Tani Genshō (traduction : le phénomène de la vallée de l’étrange), Mori explique que plus un robot semble humain, plus notre sympathie pour lui augmente… jusqu’à un certain point. 

Lorsque la ressemblance devient trop proche de la réalité sans être parfaite, notre perception bascule, et un sentiment de gêne voire de répulsion s’installe. C’est cette chute brutale dans la courbe d’acceptation qu’il nomme la Uncanny Valley.

Ce phénomène troublant se manifeste chez le spectateur durant le film, et il est d’ailleurs évoqué par le personnage de Joy. En effet, une sensation étrange persiste tout au long du visionnage, car l’on sait dès le départ qu’Adam n’est pas une véritable personne. Cette conscience crée un malaise diffus, renforcé par quelque chose d’inhabituel dans son regard, une forme de vide, presque dérangeante.

Uncanny, Matthew Leutwyler, 2015

La manipulation de la perception

Et puis vient le plot twist. Ce moment où tout bascule. Ce à quoi on croyait depuis le début s’inverse : Adam est un humain, et David est le véritable androïde. Un retournement qui résonne comme un coup de massue, il ne s’agit plus seulement d’un robot qui imite l’humain, mais aussi d’un humain qui passe pour un robot… au point de nous tromper complètement.

C’est là toute la puissance du film : il manipule notre perception de façon brillante, en jouant avec les codes de l’Uncanny Valley. Ce que nous pensions étrange chez Adam, comme son regard vide, sa posture et sa façon de parler trop parfaites, tout cela n’était finalement pas artificiel, mais c’était simplement… humain. Et ce que nous pensions humain, chez David, n’était qu’une machine parfaitement programmée.

Un détail, pourtant, aurait pu éveiller notre soupçon : Adam postillonne lors d’une scène de colère. Ce petit geste anodin, si trivial, si typiquement humain, aurait dû nous alerter. Était-ce une erreur de fabrication, ou une preuve discrète de son humanité ? Ce moment illustre parfaitement l’ambiguïté du film, qui nous pousse à remettre en question chaque image, chaque mot, chaque geste.

Uncanny, Matthew Leutwyler, 2015
Système électronique à l’intérieur de David


Uncanny est une œuvre subtile sur l’illusion du vivant, sur ce qui fait de nous des êtres humains, et sur la manière dont la technologie peut brouiller cette définition.
En explorant les limites de la ressemblance, il interroge notre rapport à l’émotion, à l’apparence, à la perception du réel. Et surtout, il nous laisse avec une question dérangeante : dans un monde où les machines imitent parfaitement l’humain… sommes-nous sûrs de pouvoir encore les reconnaître ?


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