Deuxième court-métrage de la réalisatrice Margaux Colarusso, Beyond est un western intimiste qui pose la question du choix de la désobéissance et de la quête de la rédemption. Avec ce métrage, Margaux Colarusso fait la gageure de proposer au public un western « belge » qui s’inscrit dans le genre anti-western proposant une autre lecture de la conquête de l’Ouest et de la création de la nation américaine fondée sur les violences faites aux peuples autochtones. John, un soldat de l’armée américaine, décide de déserter et de se cacher dans une grotte. Commence, pour lui alors, un long chemin vers la rédemption.

Alors que la sortie du court-métrage est prévue pour le début de l’année 2026, la cinéaste belge a accepté de répondre à quelques questions.

Margaux Colarusso, réalisatrice du court-métrage Beyond

C’est original de remettre au goût du jour le western, pourquoi ce choix ?

Le western est un genre qui m’a toujours fascinée, d’autant plus qu’on en voit très peu aujourd’hui. Même si, ça semble revenir sous forme de séries. Mon histoire se déroule principalement à l’époque de la conquête de l’Ouest. Il y a quelques années, j’ai découvert le film Danse avec les loups de Kevin Costner, et j’en suis tombée amoureuse. Ce film offrait une vision plus humaine et profonde des peuples autochtones d’Amérique. Depuis, j’ai été hantée par l’envie d’écrire et de réaliser un film aussi beau, touchant et réaliste. Mon court-métrage s’inscrit dans ce qu’on appelle le western révisionniste, c’est un sous-genre du western, plus sombre et plus réaliste de l’Histoire américaine. Contrairement aux westerns traditionnels, qui glorifient souvent les colons comme des héros et présentent les peuples autochtones comme les « méchants ».
Parmi les œuvres marquantes de ce genre, on peut citer
Impitoyable de Clint Eastwood, The Revenant avec Leonardo DiCaprio, et bien sûr Danse avec les loups de Kevin Costner.

La question de la colonisation et de la violence appliquée aux populations autochtones semble être au cœur de votre court-métrage. Et vous avez choisi d’aborder le sujet du point de vue d’un soldat qui finit par refuser ce genre de violences. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mon objectif avec Beyond est avant tout de rendre hommage aux peuples autochtones d’Amérique, à travers la quête de rédemption de John, un soldat qui fait aussi, avant tout, partie des colonisateurs. J’ai choisi de raconter l’histoire du point de vue de ce personnage, d’une part parce que cette perspective est rarement exploitée dans les films sur le sujet, et d’autre part, parce que des hommes comme John ont réellement existé. Des journaux intimes de soldats ayant participé à la conquête de l’Ouest ont été retrouvés. Ils y exprimaient leurs traumatismes, leur honte. Certains ont déserté, se sont isolés, ont sombré dans l’alcoolisme, et certains ont même été tués parce qu’ils voulaient témoigner des atrocités commises. Mon histoire s’inspire directement de ces faits historiques. John incarne tous ces hommes.

  • Beyond, Margaux Colarusso, 2026
  • Beyond, Margaux Colarusso, 2026
  • Beyond, Margaux Colarusso, 2026


Mettre en avant un déserteur met en lumière la thématique suivante : doit-on désobéir aux autorités lorsque celles-ci demandent des choses inhumaines. Pourriez-vous nous expliquer le procédé utilisé pour rendre ce personnage profondément humain, malgré ses actes passés ? 

Il faut savoir désobéir, surtout lorsque la cause que l’on sert est inhumaine, injuste et monstrueuse. Il n’y a qu’un pas entre le bien et le mal, et le choix appartient à chacun. L’important est de savoir faire la différence et surtout d’en prendre conscience. Le personnage de mon histoire est avant tout un être humain, doté de sentiments et de conscience. C’est un homme qui, au départ, servait une cause en laquelle il croyait, mais qui finit par comprendre que ce que lui et les siens commettent est injuste. Il finit par s’isoler des siens et du monde, sous le poids de la culpabilité. Il est hanté par les fantômes de son passé. Mon intention est de montrer que tous ces hommes n’étaient pas forcément mauvais, qu’ils ne prenaient pas plaisir à détruire un peuple ou à massacrer des innocents. C’est important de se souvenir que l’Amérique, telle qu’on la connaît aujourd’hui, a été bâtie par des massacres, la destruction et le vol des terres d’un autre peuple qui vivait là bien avant. En paix et en harmonie avec la nature. Une des nombreuses choses qui m’avaient choquées lors de mes recherches, c’est le fait que les colons ont massacrés des millions de bisons dans le but d’affamer les amérindiens ( qui eux dépendaient énormément des bisons pour vivre, dans leur culture ) mais aussi par simple plaisir et à des fins commerciale, entre autre pour le cuir, ça a conduit à une quasi
disparition de l’espèce. C’est profondément inhumain

La thématique que vous abordez est tragiquement d’actualité. Est-ce que ce qui se passe dans le monde vous à motivée en tant qu’artiste à vous exprimez à travers la fiction et plus particulièrement à travers l’histoire des peuples amérindiens ?

Ce qui est arrivé aux peuples autochtones m’a toujours profondément touchée. Leur culture m’a toujours intriguée, et, d’une certaine manière, je me sens liée à eux depuis mon enfance. À travers mon court-métrage, mon souhait est de leur rendre hommage, pour que leur histoire ne tombe jamais dans l’oubli. Même si les atrocités et les guerres semblent se répéter inlassablement à travers le monde… à croire que l’humanité n’apprendra jamais.

On pourrait penser que faire un western en Belgique pourrait poser des soucis structurels, pouvez-vous nous parler des paysages et du cadre choisis pour la mise en scène ?

Croyez-le ou non, en Belgique, nous avons de magnifiques paysages qui peuvent faire penser à ceux des États-Unis. J’ai mené de nombreuses recherches, puis effectué des repérages pour trouver les décors parfaits, allant d’une rivière rocheuse à un petit canyon, par exemple. Chaque détail compte, même la végétation. J’avais cette envie de montrer qu’il est possible de réaliser ce genre de films ici, chez nous, et pour preuve… je l’ai fait. En regardant le court-métrage, on ressent ce dépaysement, on y croit vraiment !

Comment avez-vous traité le rapport entre l’homme et son cheval ?

En fait, c’est son compagnon de route dans la solitude, son lien avec la nature et avec ce qui reste de bonté dans le monde.

Vous êtes connue en tant qu’actrice et vous aviez déjà réalisé Focus, un court-métrage prenant sur le thème de l’angoisse, comment avez-vous vécu ce changement de casquette au moment de la réalisation de ce premier court-métrage et comment avez-vous abordé Beyond, votre deuxième réalisation ?

La réalisation m’a toujours intéressée, mais pendant longtemps, je ne savais pas quels thèmes ou sujets aborder. Avec les années, j’ai fini par trouver la voie que je souhaitais emprunter en tant que réalisatrice: celle de projets qui invitent à la réflexion et mettent en lumière des sujets rarement traités. Honnêtement, cette transition s’est faite assez naturellement, une fois que j’ai su où je voulais aller. Réaliser un film demande bien plus de travail que le simple fait de jouer enfaîte. Il y a énormément de choses à faire en amont, pendant et après en post-production. C’est beaucoup de travail mais ça n’en reste pas moins très passionnant. Il y a quelque chose d’assez émouvant dans le fait de voir son idée prendre vie sous la forme d’un film! Pour Beyond, l’idée me trottait dans la tête depuis plusieurs années. Elle a mûri peu à peu, jusqu’à il y a un an, lorsque j’ai commencé à écrire, puis réécrire le scénario. Ensuite, des mois de préparation ont suivi, afin de tout mettre en place, ainsi qu’un important travail de recherche sur cette période de l’Histoire.

La problématique de la « désobéissance » apparaît dans le synopsis de Beyond, auriez-vous un message à faire passer à ce sujet ?

La rédemption est possible, même après avoir commis des erreurs, si on a le courage de vouloir changer les choses et de choisir de faire le bien. C’est un choix que nous avons tous en nous, un choix qui à grande échelle, peut changer le monde. Je suis convaincue que la paix est possible, si seulement l’humanité savait tirer les leçons de l’Histoire : des guerres passées, des tragédies, et de toutes ces personnes qui se sont sacrifiées avec l’espoir d’un monde meilleur. Toute cette violence m’attriste profondément. Je ne comprends pas ce besoin incessant de faire la guerre, de rester en conflit. Vivre en harmonie ne me semble pas irréalisable. Avec l’art, nous avons, en tant qu’artistes, le pouvoir d’exprimer, de transmettre, et peut-être de faire bouger les choses. L’art est un outil puissant, et peu en mesurent réellement l’impact. J’espère que de plus en plus d’artistes diffuseront des messages positifs, car le monde en a cruellement besoin.


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