Déjà auteur de plusieurs livres consacrés au rock progressif italien (Le Petit Monde du Rock progressif Italien, 2015 et Plongée au cœur du Rock Progressif Italien, 2018), Louis De Ny, historien et spécialiste de la musique contemporaine en Italie, revient en cette fin d’année 2025 avec un autre ouvrage qui évoque le cinéma de genre italien de la période 60 à 80 et la musique. Pour la sortie de Le Cinéma italien comme vous ne l’avez jamais entendu ! aux Éditions Camion blanc, Louis De Ny a bien voulu se prêter à un entretien.

Tu es un spécialiste du rock progressif italien et de la musique composée pour le cinéma de genre italien des années 60, 70, 80. D’où te vient ton intérêt pour le cinéma de genre italien et le rock progressif transalpin ? Est-ce lié à une découverte particulière (un film, un album, une rencontre) ?
LdN : bonjour. Je suis de plus en plus convaincu que nos goûts musicaux se forment très jeunes à partir de nos premières sensations musicales. C’est probablement ce que l’on appelle aujourd’hui l’éveil musical. Pour ce qui me concerne, j’ai commencé à apprendre la musique (guitare) à partir de morceaux d’étude de compositeurs italiens, dont Scarlatti bien sûr, mais aussi Carulli, Carcassi et Giulani. Très tôt également, des copains un peu plus âgés que moi m’ont fait découvrir le rock progressif. Un ami, en particulier, dont les parents étaient italiens, m’a fait écouter des groupes de prog italiens absolument inconnus en France dont les noms autant que les pochettes me fascinaient. Enfin, pour la musique de film, j’ai été un spectateur assidu des salles de cinéma de quartier à Nantes (ma ville d’origine) qui programmaient tous ces films de genre, principalement italiens, qu’on allait voir un peu en cachette. Les musiques sont restées imprimées en moi parfois plus que les images des films. Voilà ce qui a formé cet espèce de background musical personnel qui s’est transformé au cours des années en une passion puis une activité portant sur l’étude de la musique contemporaine italienne, disons à partir de 1960. Mes recherches couvrent également d’autres formes musicales propres à l’Italie dont celle particulière aux cantautore par exemple.
Tu viens de publier ton dernier ouvrage intitulé Le cinéma de genre italien comme vous ne l’avez jamais entendu. Peux-tu nous parler de ce livre et de sa genèse ?
LdN : l’origine de ce livre est très ancienne. J’avais ce projet en tête depuis une dizaine d’années. L’idée m’était venue après m’être rendu compte qu’il n’existait aucun dictionnaire recensant, de manière exhaustive, les compositeurs italiens de B.O. du cinéma bis pour la période qui m’intéressait (années 60, 70), même en Italie. Comme je l’explique dans ma présentation du livre, sorti d’Ennio Morricone et de Nino Rota, les autres compositeurs italiens sont rarement présentés de manière intéressante dans des recueils. Je savais qu’une fois lancé, il me faudrait beaucoup de temps. De fait, entre le travail de documentation, l’écoute de plus de deux mille soundtracks et le visionnage de presque autant de films, tout cela parfois dans des conditions spartiates, j’ai été à plusieurs reprises, proche de l’overdose d’images et de musiques, mais ça valait le coup !
Ton livre est écrit comme un index avec des entrées par ordre alphabétique, une courte bio des compositeurs et une liste d’œuvres. Pourquoi avoir choisi cette forme plus que celle d’un texte analytique ?
LdN : en préparant le livre, j’ai longuement hésité avant d’adopter la présentation index bio/listes OST, mais la rédaction sous une forme plus classique résistait mal aux nombreuses références de B.O. et de films incluses dans le texte. Cela en devenait illisible. Je garde toutefois la forme histoire/analyse pour un prochain livre au thème plus ciblé.
Quelles ont été tes sources principales ? Archives, interviews, collections privées ? As-tu découvert des compositeurs, des anecdotes ou des collaborations méconnus en écrivant ce livre ?
LdN : avant d’écrire un livre, je me documente énormément. Pour cet ouvrage en particulier, il a fallu faire un vrai travail de recherches long et minutieux, mais aussi croiser et vérifier les informations recueillies, parfois inexactes. À cet égard, les interviews sont beaucoup plus piégeuses qu’on ne pourrait l’imaginer. Certains musiciens et compositeurs ont une nette tendance à faire évoluer leurs récits, voire à enjoliver la réalité historique au fur et à mesure que les années passent. De même, des textes dits de références que l’on peut trouver sur internet comportent régulièrement des erreurs parfois assez grossières, d’ailleurs. Concernant les compositeurs, je pense que je ne connaissais pas 80% d’entre eux au début de mon projet (il y a 250 compositeurs cités dans le livre). Les collaborations méconnues sont légion. Cet ouvrage est justement là pour les faire connaître. Le plus amusant concerne les pseudos utilisés par certains compositeurs italiens, parfois pour angliciser leurs noms (c’était particulièrement vrai durant les années 60), parfois pour des raisons de droits, parfois aussi pour ne pas apparaître sous leur vrai nom au générique de certains films, ce qui était fréquent pour les productions érotiques et pornos de l’époque. Il y a aussi quelques anecdotes et citations peu connues évoquées dans le livre.
Pour beaucoup de cinéphiles, l’histoire du cinéma de genre italien est souvent liée à la collaboration entre un groupe/compositeur et un réalisateur (par ex Goblins/Claudio Simonetti – Dario Argento ou encore Fabio Frizzi – Lucio Fulci). Comment expliques-tu ces différentes alchimies qui ont pu naître à cette période ?
LdN : au départ, il y a souvent une rencontre un peu fortuite, rarement choisie délibérément. L’association Goblin/Argento en est un bon exemple. L’histoire est largement détaillée dans deux autres de mes livres : Giallo et Rosso, Goblin – diabolus et musica. Ensuite, il s’installe un équilibre entre la relation de confiance et (parfois) la solution de facilité. Mais dans certains cas, il y a incontestablement de belles histoires de relations humaines : le couple Sergio Leone/Ennio Morricone évidemment, mais aussi Fabio Frizzi avec Lucio Fulci (Fulci sur le tard a dit des choses incroyablement gratifiantes sur Frizzi), Goblin puis Claudio Simonetti avec Argento, Piero Piccioni avec Francesco Rosi et Alberto Sordi, Eduardo Alfieri avec Alfonso Brescia ou encore Pino Donaggio avec cette fois un réalisateur américain, Brian de Palma.
Même si cela n’est pas spécifique au cinéma de genre italien, celui-ci a la particularité d’avoir pu réunir sur des films devenus cultes, des réalisateurs, qui ont pu et su imposer sur quelques films leur vision du cinéma, et des compositeurs, aussi venus du classique, qui ont su transcender les images grâce à la musique. Penses-tu que cette période (années 60-80) représente un moment unique ou vois-tu des équivalents dans d’autres cinématographies ? Penses-tu que ce phénomène puisse se réactualiser ?
LdN : dans la création artistique, je crois qu’il y a des cycles avec des rendez-vous privilégiés, des sortes de highlights, durant lesquels une conjonction de facteurs favorables (sociaux, culturels, économiques, mais aussi avancées technologiques) permet de connaître des séquences de 10/20 an exceptionnelles en termes de créativité, des périodes qui restent ensuite comme des références culturelles auxquelles on se réfère et que l’on tente évidemment de reproduire. Mais cela reste des moments uniques. Il est donc impossible de les recréer a posteriori, car le contexte est irrémédiablement différent. Cette manière de voir les choses entend donc que d’autres belles périodes arriveront sûrement même si actuellement, nous sommes plutôt dans un creux créatif à mon avis.
La grande période du cinéma de genre italien est déjà bien loin, et même si le cinéma mainstream italien a connu une relative renaissance depuis la fin des années 90, le cinéma de genre italien, avec quelques exceptions isolées, peine à renaître et à trouver des financements en dehors du circuit indépendant. De ce fait, penses-tu qu’un livre comme le tien puisse trouver écho chez les jeunes générations qui n’ont pas connu la période faste du cinéma bis italien ?
LdN : je l’espère ! Un livre doit donner envie, soit de lire la suite pour les fictions, soit, pour les livres plus spécialisés, de s’intéresser à des domaines et des sujets que l’on vient de découvrir en les lisant. Il est également patent de constater que nous sommes dans une période où le cinéma de genre et ses bandes sonores, connaissent un regain d’intérêt depuis quelques années. Côté musiques de film, j’en veux pour preuve les rééditions vinyles et/ou CD en « limited edition » qui partent comme des petits pains. C’est particulièrement vrai pour tout ce qui touche au cinéma de genre italien, ce qui me réjouis beaucoup.
Comment juges-tu l’impact du cinéma de genre italien, dans ses composantes à la fois filmiques et musicales sur les générations de réalisateur·rice·s/auteur·rice·s qui sont arrivé·e·s à partir des années 90 ? On peut par exemple citer Tarantino.
LdN : il y a beaucoup de musiciens et de réalisateurs, y compris français, qui se réfèrent au cinéma de genre italien, notamment au giallo. Je pense par exemple au duo Hélène Cattet/Bruno Forzani ou plus récemment à François Gaillard. En général, ce sont des personnes très respectueuses du genre avec un résultat assez bluffant. Quant à Tarantino, on peut aimer ou pas ce qu’il fait, mais il faut lui reconnaître son amour et sa grande culture du cinéma, dont le cinéma italien auquel il a su rendre hommage aussi bien dans certains de ses films que dans ses bandes-son. Côté musique, il me faut absolument citer le groupe milanais Calibro 35. Ces musiciens sont de vrais orfèvres et chacune de leurs productions discographiques semble tout droit sortie des années 70 sans pour autant tomber dans le plagiat. Ils composent d’ailleurs également maintenant des musiques de film.
Si tu ne devais choisir qu’une seule BO du cinéma de genre italien, laquelle serait-ce, et pourquoi ? Y a-t-il un film ou une BO que tu considères comme sous-estimé(e) et qui mérite d’être redécouvert(e) ?
LdN : citer une seule B.O. est évidemment très compliqué, mais dans tous les cas ce serait une musique d’Ennio Morricone à choisir entre Il grande silenzio, Giù la testa et Il sorriso del grande tentatore. Quant aux B.O. injustement oubliées, il y en a beaucoup et je dois avouer que l’intérêt pour moi de faire ce livre a été aussi de faire des découvertes absolument incroyables de très belles musiques de film malheureusement méconnues. À la volée, je te dirais qu’il serait juste de réhabiliter les B.O. de La Vittima designata de Bacalov, d’Un bianco vestito per Marialè de Fiorenzi Carpi, de Sedia elettrica de Marcello Gigante, de Le orme de Nicola Piovani, de Ciak si muore d’Aldo Buonocore, d’Una vita lunga un giorno des frères Reitano et encore de Pizza Connection de Carlo Savina, mais je pourrais en citer encore beaucoup, donc je m’arrête là. Les autres sont dans le livre.
Quels sont les films et auteurs (cinéma, musique) qui t’ont le plus marqué en tant que spectateur/auditeur ?
LdN : je reste assez classique dans mes goûts, voire pas original du tout. Les films de Sergio Leone avec les musiques d‘Ennio Morricone sont pour moi autant des moments de bonheur inégalables. Dans un autre genre, je reste un fervent admirateur de Mario Bava et de son esthétisme unique ou encore de Dario Argento (au moins jusqu’à No ho sonno pour ce dernier). Enfin, j’aime beaucoup les deux gialli tournés par Antonio Bido.
Quels sont tes prochains projets ?
LdN : j’ai toujours trois projets de livres en chantier en même temps. Ensuite, les opportunités et parfois aussi mes envies font que les projets s’alignent avec un ordre de sortie qui se fait naturellement. Actuellement, je suis en train de travailler sur une traduction en italien d’un de mes précédents livres (Giallo et Rosso). Cela demande beaucoup de temps, car il faut parfois réécrire des phrases entières pour garder le même niveau de clarté et de compréhension entre le français et l’italien. C’est d’ailleurs également vrai pour les titres et les sous-titres qui prennent parfois un sens différent en italien ! Le livre devrait être prêt pour 2026. J’ai également en préparation à un horizon de trois à cinq ans, un nouveau livre sur le rock progressif italien et un autre plus ciblé sur un cinéma de genre en particulier et ses soundtracks.




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