Film d’animation du studio Ghibli, Le Conte de la Princesse Kaguya (Isao Takahata, 2013) nous conte une histoire magique, presque mystique, sur la condition des Femmes au Japon avant l’ère Meiji. Une ode à la liberté pleine de joie de vivre mais aussi de souffrances subies dans un monde aristocratique.

Dans un petit hameau de montagne, un vieux coupeur de bambou découvre, en coupant une tige de bambou luminescente, une minuscule princesse cachée à l’intérieur. Croyant qu’il s’agit là d’un don du ciel, il se décide à la ramener chez lui, près de sa femme. La petite princesse se transforme alors en nourrisson humain. Le couple va alors décider de l’élever comme leur propre fille. Afin d’accomplir son destin en tant que princesse, les parents vont tout mettre en œuvre pour qu’elle soit acceptée de la haute société, quitte à en oublier les désirs de la jeune fille. Arrachée de son environnement et des autres enfants de la montagne, la jeune fille est envoyée à la capitale pour y suivre une éducation noble. Il ne lui restera plus qu’un petit jardin à l’arrière de la résidence pour garder le lien avec « la terre » qu’elle chérit.

Le Conte de la Princesse Kaguya du studio Ghibli est une adaptation du célèbre conte pour enfants japonais. Film ayant reçu 4 prix pour « meilleur film d’animation » en 2014, il nous transporte dans un univers lumineux, constitué d’estampes pastelles, en nous faisant suivre le quotidien d’une petite fille libre et souriante qui devra peu à peu s’effacer face aux volontés de son père, qui pense qu’en faire une « vraie » princesse est son destin, et d’autres hommes de haut rang avides de « posséder un tel trésor ». Si ce n’est sa malice, qui la protégera ?

Au cours d’une cérémonie qui marque le passage à l’âge adulte, elle est nommée « Kaguya des bambous graciles », dénomination faisant honneur à sa grâce et sa beauté lumineuse. Son charme devient rapidement l’objet des rumeurs vivaces dans les rues de la capitale et plusieurs princes et hauts dignitaires cherchent alors à se l’approprier comme un « trésor », la comparant d’ailleurs à des objets d’une grande valeur, bien qu’ils ne l’aient encore jamais aperçue. Kaguya restera cachée derrière son rideau de bambou, cherchant une solution pour éviter de vivre cette vie qu’elle refuse, les piégeant à tour de rôle dans leurs propres discours.

Le personnage de Kaguya est présentée comme une jeune fille sauvage, intelligente et souriante. Elle expliquera ne pas vouloir se raser les sourcils puisque quand elle transpirera, la sueur tombera dans ses yeux. Sa perceptrice l’informe alors qu’une princesse ne transpire pas. La jeune fille ne souhaite pas non plus se teindre les dents en noir (pratique de l’ohaguro, marque de noblesse des Femmes japonaises de l’époque, abolie en 1870) pour son futur mari qu’elle n’a jamais rencontré car elle ne pourra plus rire à gorge déployée. Sa perceptrice ajoutera qu’une princesse ne rigole pas et qu’elle cache sa bouche avec sa main si il lui arrive de sourire. Symbole d’un mariage forcé, la jeune Kaguya perd donc son sourire et sa joie de vivre après la pratique fastidieuse et subie de l’ohaguro

Après avoir passé une vie à subir les exigences de son père et des précepteurs.trices aristocrates, Kaguya se rend compte qu’elle n’est pas de ce monde, mais de la Lune, et qu’elle a passé son adolescence sur Terre à « ne plus vivre ». Ayant souhaité avec ardeur qu’on la délivre de cette vie de souffrances, la princesse se fait entendre des Sélénites (qui pensent que toutes émotions et sentiments humains ne sont que souillures) et ils se mettent alors en route pour la ramener auprès d’eux. Néanmoins, Kaguya cherchera à réaliser une dernière chose avant son départ et la perte de ses souvenirs : retrouver le jeune coupeur de bambou de son enfance à qui elle voue une profonde affection.

C’est le soir où l’Empereur en personne viendra la surprendre dans sa chambre, durant son entraînement de koto, allant jusqu’à l’enlacer et cherchant à la « posséder », que la jeune Kaguya refuse de continuer à vivre dans ce monde dans lequel ses désirs et sa personnalité n’ont que peu d’importance aux yeux des aristocrates. L’Empereur, étonné d’un tel refus tant il est habitué à ce que ses désirs soient comblés d’un claquement de doigt, comprend alors que la jeune Kaguya n’appartiendra à personne et s’en ira après avoir imprégné le magnifique visage de la jeune fille dans son esprit. Et c’est encore une fois, contre sa volonté, que Kaguya couronnée et recouverte d’une robe de plume (vêtement des nymphes célestes, les apsara du folklore bouddhique), perdra ses souvenirs, ses passions et ses blessures et accompagnera Bouddha et son char céleste, venus la chercher, sur la Lune. Doit-on y voir un symbole de suicide et de réincarnation ? Ou alors une libération des émotions humaines afin d’atteindre cette plénitude qu’est le nirvana ? Kaguya dira à l’assemblée de Sélénites venue la chercher qu’en aucun cas la vie sur Terre est une souillure : la vie bouge, ressent, se tortille, grouille, pour le meilleur comme pour le pire, qu’il s’agisse d’humain.e.s, d’autres animaux, d’insectes ou encore de plantes.

Kaguya-hime no monogatari est l’un texte le plus ancien du Japon. Ce conte a inspiré un bon nombre de films japonais et d’œuvres nippones et on retrouve le personnage de Kaguya dans le lore de plusieurs manga, anime et de jeux vidéo (Sailor Moon, Code Geass, Inuyasha, Queen Millenia, etc.).


Auteur / autrice

  • Syneha Raktajin0

    Elle aime lire, écrire – des phrases beaucoup trop longues –, voyager, jouer aux jeux vidéo, en particulier les RPG Japonais, et regarder des films de genre à gogo, surtout ceux qui donnent des frissons tout partout ! Sorcière au caractère lunatique qui passe du rire aux larmes bien trop facilement, elle se prend à rêver à des utopies à la Star Trek ou encore une romance à la Pocahontas – au détour de la rivière sous un saule pleureur-mamie gâteaux. Son style favori : sa broche du prisme lunaire et ses commandes d’invocation de Gilgamesh tatouées sur sa main gauche.

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