En plein milieu d’un embouteillage, François (Romain Duris) et son fils Emile (Paul Kircher) se prennent la tête en se rendant à un rendez-vous à l’hôpital. Excédé, l’adolescent sort du véhicule, son père le rattrape. Leur attention se porte alors sur une ambulance. Des coups résonnent à l’intérieur, une lutte semble s’y dérouler. Avant qu’un homme ailé n’en surgisse, défonçant la porte arrière et s’échappant du flot de véhicules à l’arrêt. Chacun retourne dans sa voiture, et la vie reprend son cours. En une scène efficace, le décor fictif est posé. On apprendra peu après que depuis deux ans, des hommes et des femmes se transforment en animaux mutants, sans raison apparente. C’est également le cas de la femme de François et mère d’Emile, qui a commencé à muter. Un début prometteur. Qui s’écroulera malheureusement petit à petit comme un château de cartes.

Rendons cependant au réalisateur Thomas Cailley ce qui appartient à César : ce n’est pas tous les jours que le cinéma français nous offre un film mettant en scène des monstres, qui plus est, est réussi. Par ailleurs, le choix du cinéaste est de montrer d’entrée les créatures en full frontal immerge immédiatement le public dans un monde où il est naturel et courant de les voir évoluer. Nulle suggestion ici, mais au contraire le parti pris d’ancrer le récit dans un réel tangible où humain·e·s et mutant·e·s se partagent l’espace commun. Cette idée casse-gueule, parfois à la limite du ridicule (le mutant poulpe dans le supermarché), tient globalement la route sur la durée. Mais de bonnes intentions ne suffisent pas à faire un bon film.

Car le gros problème du long-métrage réside précisément dans les intentions du metteur en scène. On ne saura ainsi jamais ce qu’il veut nous dire, tant les pistes de lecture sont multiples, se croisent, s’entrechoquent, pour former au final un magma informe duquel rien ne surnage. Fable écolo ? Métaphore sur l’adolescence ? Courroux divin ? Défense de la cause animale ? Porosité entre l’homme et l’animal ? Tout à la fois ? Aucune idée, mon général ! Ce grand bazar thématique témoigne d’une écriture pour le moins brouillonne et le film ne s’en remettra jamais, créant de fait une distance malheureuse et préjudiciable avec le public.

Le deuxième point faible du film réside dans l’écriture des personnages secondaires, à l’image de celui campé par la toujours impeccable Adèle Exarchopoulos. Son arc narratif, qui aurait pu donner une étoffe supplémentaire au film, est ainsi laissé en plan, totalement inachevé, à l’instar de celui de la petite amie d’Emile, qui disparaît de l’intrigue d’un revers de la main. Pourtant écrit à quatre mains, le scénario comporte ainsi des lacunes inexcusables et très dommageables à l’équilibre de l’ensemble. Un peu comme si les scénaristes n’étaient pas parvenus à se dépatouiller de certains personnages. « Bon, on fait quoi de ces deux caractères ? » « Bah… écoute j’en sais rien ». Soit.

Enfin, le film réussit le pari improbable pour ce type d’histoire de ne jamais émouvoir. Ainsi, on ne ressent absolument rien pour les créatures, pour leur souffrance, pour leur condition, alors que l’implication émotionnelle du public devrait être quasi constante. La faute à une absence de lyrisme, à une musique en décalage total avec les enjeux dramatiques et à une mise en scène certes de belle tenue mais trop en retrait, ne laissant ainsi jamais l’émotion transpirer de l’écran. Exception qui confirme la règle : la scène « Pierre Bachelet » qui contre toute attente provoque un petit frisson.

Inutile de tirer davantage sur l’ambulance (les dialogues souvent trop écrits et didactiques, une longueur excessive…) mais rendons grâce à la démarche louable de proposer une œuvre fantastique dans un cinéma de genre français exsangue. Malgré ses innombrables défauts, Le Règne animal a pour lui le mérite d’exister. Et c’est déjà pas mal !


Auteur / autrice

  • Laurent

    Considérant le 7ème art comme l’addition de tous les autres, il estime qu’au-delà du genre, tous les cinémas se valent. L’amour du cinéma ne peut selon lui qu’être total, chaque type de films comptant ses chefs-d’œuvre et ses brebis galeuses. Et comme l’écrivait Theodore Roszak à propos du cinéma, soit il « bouge pour raconter la vérité humaine, soit c’est seulement de la poudre aux yeux ».

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