La mondialisation et notamment la médiatisation de masse, en particulier dans le domaine de l’audiovisuel, permet à des créatures folkloriques typiques de se déverser à travers le globe. Tout comme les œuvres du cinéma fantastique et notamment d’horreur (qui sont très en vogue dans l’aire culturelle asiatique et à l’International), les jeux vidéos et l’animation s’exportent également en grand nombre ainsi que la littérature, en particulier la bande dessinée, et notamment le manga, font écho dans la pop culture française et occidentale. C’est cet ensemble de médias forts de cette pop culture mondiale qui sert de véritable refuge aux fantômes de l’Asie. Comment des cultes aux esprits originaires d’Asie et leurs représentations se sont propagés à travers le monde et sous quelle(s) forme(s) ?

En Asie, cette relation humain/esprit est à double-sens : les humains contentent les esprits et réalisent des offrandes en échange de protection, bénédiction, réalisation de souhaits, sécurité, etc. dans le but d’un bien-être commun, utile à la société dans son ensemble. À l’inverse ne pas les respecter ou les mettre en colère peut conduire à des situations dangereuses et attirer la malchance ainsi que de multiples désastres dans la vie d’un individu. Liés à des cosmogonies et des mythes, ces cultes aux esprits sont visibles dans un bon nombre d’œuvres audiovisuelles tels que le cinéma d’horreur nippon et leurs remakes à l’américaine, les saga Ju-on/The Grudge initiée par Takashi Shimizu et the Ring/Ringu initiée par Hideo Nakata (qui puise en réalité ses origines dans une nouvelle de Koji Suzuki, également auteur de la nouvelle Dark Water qui inspirera le film nippon, Dark Water également réalisé par Hideo Nakata et son adaptation américaine de Walter Salles avec Jennifer Connely), les films de Kiyoshi Kurosawa, grand réalisateur du cinéma de genre au Japon qui a récemment fait parler de lui, en France, avec son film Le Secret de la chambre noire. Attachés à des mythes et mettant en scène devant la caméra, et sous d’autres formes, ces créatures du folklore asiatique, ils constituent la mythologie implicite des rituels et cultes aux esprits de l’Asie. Il s’agit d’une transmission de cette mémoire, de ces mythes par le biais de l’audiovisuel, qui n’apparaît que comme le suite logique de leurs précédentes apparitions dans les arts classiques de l’Asie comme le théâtre , kabuki (dans le cas du Japon) et khon (thaïlandais) ou encore de la peinture, notamment les estampes japonaises dans lesquelles on pouvait déjà apercevoir des peintures d’horreur et de fantômes époustouflantes qui ont inspiré les caractéristiques des fantômes japonais dans l’audiovisuel contemporain.

On peut constater de l’évolution de l’onryô, esprit vengeur typiquement japonais, qui souffre d’une rancune ineffaçable. On ne peut pas réellement l’apaiser ni le sortir de cet état de urami (colère, rancune) qui est l’origine de la malédiction (tatari) qui pèse autant sur l’esprit lui-même que sur les humains responsables de sa mort. C’est notamment le cas du tatari-gami (dieu maudit), le dieu sanglier s’étant laissé dévorer par la colère et l’amertume de la haine attaque le village d’Ashitaka au début de l’histoire de Princesse Mononoké réalisé par Hayao Miyazaki.

Puisqu’il est impossible d’apaiser sa colère, l’onryô cherchera à se venger plus globalement des vivants qu’ils soient responsables ou non de sa situation. La légende d’Oiwa (récemment réactualisée dans le film nippon Over Your Dead Body), pièce de théâtre kabuki, illustre bien ce sujet. Reprise par Hokusai sur son estampe connue sous le nom d’Oiwa-San les caractéristiques de l’onryô n’ont pas changé. Il s’agit souvent d’une femme, aux cheveux longs noirs, habillé de blanc, aveuglée par la haine, cherchant à se venger des vivants du sort injuste qu’elle a subit. Elle est d’ailleurs devenue la protagoniste principale d’un bon nombre de kaidan eiga, films d’horreur nippons. Comme c’est le cas de Kayako de Ju-on : The Grudge ou Sadako de Ringu qui ont ensuite connus des remakes américains du même nom qui les ont propulsées sur le devant de la scène mondiale. Dans ces films américains, les caractéristiques des esprits sont les mêmes, seul le contexte change légèrement (le pays, la nationalité, le prénom et le physique des personnages de façon à ce que le spectateur occidental s’immerge plus facilement dans l’histoire, où Sadako se renomme Samara et est visiblement de type caucasien. Et le but de leurs apparitions étant bien évidemment de divertir en faisant peur.

La mondialisation a-t-elle donc médiatisé le culte aux esprits ? Utilisés hors du domaine des croyances et essentiellement sous supports médiatiques immersifs et artistiques, ces références aux cultes aux esprits et aux mythes sont toujours bien présents et accessibles à un très large public. Ici, l’étude du fait religieux, le culte aux esprits, qui se fait de l’extérieur (donc des pratiques et de la ritualité) vers l’intérieur (donc la sensibilité religieuse, la foi…) se retrouve transformée. On part bien du même point (l’extériorité du fait religieux, visible, c’est-à-dire les cultes aux esprits en Asie) pour finir sur sa transmission en tant qu’éléments cultuels et culturels dépourvues de sensibilité religieuse, donc surtout de son utilité et sa réappropriation dans les univers de fiction immersifs de la pop culture contemporaine. Donnons l’exemple de Home Sweet Home, un jeu vidéo survival-horror d’origine thaïlandaise (YGGDRAZIL GROUP CO.,LTD, 2017) où sont présents un bon nombre de phii, esprits du folklore thaï, placés dans cet univers pour faire peur, pour faire barrage à Tim, un héros à la recherche de sa petite amie. Il s’agit là d’une belle œuvre audiovisuelle pour arpenter la culture folklorique thaïlandaise, tout en s’amusant à découvrir un jeu vidéo de genre horrifique.

Même si l’on constate une transformation des caractéristiques des cultes aux esprits en Asie dans le phénomène de mondialisation notamment avec l’arrivée de nouvelles offrandes modernes (par exemple, cigarettes ou coca-cola disposés dans les maisons aux esprits, liés à l’arrivée d’objets de consommation modernes due au fait que plus les générations se succèdent dans un monde de plus en plus mondialisé, plus leurs descendants offriront aux ancêtres des objets ou aliments qu’ils aimaient de leurs vivant…), on constate aussi une évolution via leur réappropriation dans les œuvres de fiction comme des éléments de background. Ce n’est pas tant les caractéristiques des esprits ni de leurs cultes qui se sont transformées puisque les relations esprits-humains à double-sens, marquées par une bénédiction ou une rancune, sont toujours présentes. Ce sont donc leurs modalités d’apparitions qui se situent hors de la croyance (dans des supports médiatiques dont le but est le divertissement et l’immersion d’un lecteur, d’un joueur, d’un spectateur dans un univers de fiction). Un glissement s’effectue alors des arts classiques (qui se contentaient de transmettre une mémoire culturelle et cultuelle sans en transformer le fond) aux supports médiatiques actuels (qui gardent la forme mais pas le fond, ici la sensibilité religieuse, puisque les cultes aux esprits représentés se situent hors du domaine de la croyance).

Un exemple de la relation aux esprits dans les jeux vidéo et notamment les RPG japonais, dans lesquels les esprits sont souvent des outils et le rituel d’invocation est perçu comme une arme. Comme c’est le cas dans la série Final Fantasy ou Tales of, connues d’un public international. On peut également parler des yôkai, ces créatures du folklore nippon, qui deviennent des objets-monstres, à collectionner pour que le joueur puisse organiser des combats (comme dans le jeu Pokémon ou Yôkai Watch). Cette relation apparaît parfois comme plus subtile, comme par exemple dans le cas du jeu vidéo, Tales of Zestiria où les esprits, les tenzoku (séraphins en français) provoquent des bonus de zones, une protection ou un avantage tactique, en échange d’offrandes d’objets ou d’argent. À l’inverse le jeu Nioh, jeu d’action-aventure produit par Team Ninja reprend ces créatures du folklore nippon et se les approprie pour en faire des ennemies à combattre, et transformant notamment la prière et le culte aux esprits (envers les hokora) en bénédiction (bonus pour le personnage joué) si vous y apportez les kodama perdus, pour le plus grand bonheur des joueur·euse·s du monde entier !


Auteur / autrice

  • Syneha Raktajin0

    Elle aime lire, écrire – des phrases beaucoup trop longues –, voyager, jouer aux jeux vidéo, en particulier les RPG Japonais, et regarder des films de genre à gogo, surtout ceux qui donnent des frissons tout partout ! Sorcière au caractère lunatique qui passe du rire aux larmes bien trop facilement, elle se prend à rêver à des utopies à la Star Trek ou encore une romance à la Pocahontas – au détour de la rivière sous un saule pleureur-mamie gâteaux. Son style favori : sa broche du prisme lunaire et ses commandes d’invocation de Gilgamesh tatouées sur sa main gauche.

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