Ce chef d’œuvre de Shigeru Mizuki est indispensable pour les passioné·e·s des contes et légendes nippons. Les yôkai sont des créatures que l’on retrouve souvent dans les manga, les films fantastiques, les animations, les livres et les jeux vidéos japonais. Dans Mononoke Hime d’Hayao Miyazaki, ils font partie intégrante de la nature, les kodama, petits êtres des forêts (ressemblants aux ki no ko, enfants des arbres, décrits par Shigeru Mizuki) symbolisent cette nature bienveillante et surnaturelle. Ils se meurent avec l’arrivée du shishi-gami, transformé en dieu malveillant et destructeur par la faute de l’avidité humaine. Ce dernier est le symbole d’une nature qui se sent agressée par les humains, devenant alors cruelle. Ces créatures mystérieuses prennent également vie dans les œuvres de Clamp, équipe féminine de mangaka : elles ponctuent la vie de Watanuki et du Yuuko, protagonistes d’XXX Holic, et entrent dans leur quotidien de façon tantôt bienveillante tantôt malveillante.

Véritable encyclopédie des yôkai en France, Yôkai – Dictionnaire des Monstres Japonais (Pika, 2008) éblouit par ses illustrations en noir et blanc. Réalisées par Shigeru Mizuki, elles stimulent l’imagination par des caricatures amusantes ou encore terrifiantes, permettant ainsi d’entrer en contact avec l’atmosphère particulière qui entourent ces monstres japonais. Un peu d’angoisse, des sourires, de l’émerveillement, voilà les mots-clefs qui définissent ce coffret de deux volumes. D’une écriture humble et descriptive, Shigeru Mizuki passe en revue pas moins de 500 yôkai classés par ordre alphabétique, avec de courtes descriptions, des expériences de l’auteur, des témoignages, et les références détaillées des légendes : le farceur tanuki, le taquin kitsune, le dangereux sarugami, le majestueux ryû sont autant de créatures à découvrir qui font plonger immédiatement dans un univers fantasmagorique à l’esthétique nippone. Pour compléter son ouvrage, Shigeru Mizuki a placé des cartes de l’ancien et de l’actuel Japon afin que le lectorat puisse se situer et connaître les lieux exacts des légendes, des apparitions et autres phénomènes liés aux yôkai.

Un arbre qui a bu une quantité considérable de sang humain devient le yôkai Jubokko, autrement dit l’enfant de l’arbre. Il attrape les passants par un pied et suce leur sang. Il naît dans des lieux comme les champs de bataille. Étant donné que même une matière inorganique peut devenir yôkai une fois habitée par un esprit, il n’y a rien à redire au fait qu’un arbre, qui est un être vivant, peut à tout moment évoluer en yôkai.

Shigeru Mizuki

Terre de mystères et de merveilles, le Japon a développé au fil des siècles des traditions et un folklore fantastique hors du commun. Rare pays où survit encore une forme d’animisme connu sous le nom de shintô, qui se base sur la croyance en les kami et les yôkai, divinités et créatures fantastiques qui peuplent la nature nippone. Dans la pensée religieuse shintoïque, les yôkai ne sont pas seulement les fantômes effrayants, les esprits élémentaires et les créatures métamorphes, ils sont aussi les raisons des catastrophes naturelles, des changements climatiques ou encore des maladies psychologiques. Le terme yôkai symbolise tout ce qui peut troubler l’esprit d’une humanité, curieuse de donner un sens à son environnement, comme les désastres ou la mort. Ainsi, on peut définir le yôkai comme étant tout ce que l’être humain ne comprend pas bien, tout ce qui lui semble étrange, inexplicable ou surnaturel (idées étranges, illusions, phénomènes inexplicables). Les représentations de ces créatures du folklore nippon remontent à longtemps, déjà durant la période d’Edo (1600-1868) on peut apercevoir des fantômes, des revenants, des créatures surnaturelles animales, des démons et autres divinités sur des estampes. Cette tendance va se concrétiser avec les célèbres peintures de Kishida Ryûsei (1891-1929) appartenant au mouvement artistique des années 1910 de réenchantement du monde d’un Japon moderne.

En proie aux caprices de la nature, le Japon est, peut-être plus que tout autre, peuplé lui aussi d’esprits et de créatures imaginaires. Certains d’eux sont attachés à des régions et semblent avoir toujours fait partie du paysage. Le shintô, la religion originelle du Japon, compte des myriades de kami, sorte de divinités, plus ou moins puissantes. À l’image de la nature, cette religion véhicule des créatures sans notion du bien et du mal, aussi bonnes que le soleil et la pluie, aussi terrifiantes que la sécheresse et les typhons.

Sylvain Jolivalt


Shigeru Mizuki, un grand maître mangaka de l’horreur

Né en 1922, Shigeru Mizuki, de son vrai nom Shigeru Mura, est l’un des grands fondateurs du manga d’horreur : légendes urbaines, monstres et esprits ponctuent ses œuvres. Enfant, il se montre très curieux et écoute les histoires de monstres d’une vieille dame, amie de la famille. Profondément affecté par la Seconde Guerre mondiale, il perd son bras de dessinateur, le bras gauche, et contracte la malaria. Prisonnier de guerre en Nouvelle-Bretagne, il noue des liens avec la communauté locale allant jusqu’à se marier avec l’une de ses membres. Revenu au Japon des années plus tard, il tente de survivre au traumatisme de la guerre et apprend à dessiner du bras droit pour devenir dessinateur. En 1957, il sort son premier manga Rocketman mais son œuvre la plus célèbre, Kitaro le repoussant, est publié en 1959 et met en action Kitaro, un petit chasseur de yôkai. L’auteur fait également une apparition au cinéma dans le film Yôkai no Daisenso (La Grande guerre des yôkai) dirigé par Takashi Miike. Ces ouvrages continuent aujourd’hui à émerveiller le public par ses univers mystérieux et magiques. Sa biographie hors norme et son attrait pour le folklore japonais font de lui un auteur particulièrement intéressant pour les passionné·e·s de culture japonaise et d’horreur fantastique. Bien que les migrations de populations d’après-guerre vers des aires urbanisées ont affaibli les liens communautaires locaux et familiaux et amené le déclin dans la pratique des religions traditionnelles au Japon, la culture nippone a su préserver cette religion ancestrale et son folklore enracinés maintenant dans ces œuvres culturelles et médiatiques.

Les créations de Shigeru Mizuki en sont un bel exemple, son manga le plus connu, Kitaro le repoussant, a permis de populariser grandement les créatures du folklore nippon auprès de la population, des jeunes générations mais aussi à travers le monde. Adapté sous de nombreux aspects (films, animations, jeux vidéos), cette comédie surnaturelle et horrifique ne cesse de fasciner celui ou celle qui, sensible aux contes et légendes japonais, recherche patiemment dans les rivières et les montagnes des traces du kappa et du tengu, les plus célèbres yôkai du Japon…


Bibliographie

BUTEL Jean-Michel, 2000, « Divinité à la mode et Shinto folklorique », Ebisu, 23 : 21-44.

LUCKEN Michael, 2009, « Une esthétique de la réplication ou comment les fantômes sont à l’œuvrev – la peinture de Kishida Ryûsei (1891-1929) », Arts asiatiques, 54 : 79-94.

KAZUHIKO Komastu, 2002, « Conférence de M. Kazuhiko », École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses, 11 : 121-215.

JOLIVALT Sylvain, 2007, Esprits de créatures fabuleuses du Japon : rencontres à l’heure du Bœuf. Hong Kong, Éditions You Feng, 248p.


Auteur / autrice

  • Syneha Raktajin0

    Elle aime lire, écrire – des phrases beaucoup trop longues –, voyager, jouer aux jeux vidéo, en particulier les RPG Japonais, et regarder des films de genre à gogo, surtout ceux qui donnent des frissons tout partout ! Sorcière au caractère lunatique qui passe du rire aux larmes bien trop facilement, elle se prend à rêver à des utopies à la Star Trek ou encore une romance à la Pocahontas – au détour de la rivière sous un saule pleureur-mamie gâteaux. Son style favori : sa broche du prisme lunaire et ses commandes d’invocation de Gilgamesh tatouées sur sa main gauche.

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