Réalisé en 1961 par Jack Clayton, et adaptation du roman de Henry James Le Tour d’écrou, Les Innocents nous raconte l’histoire de Miss Giddens, une jeune institutrice qui doit s’occuper des jeunes Flora et Miles, dans un manoir à Bly. Les fantômes de l’ancien valet et de l’ancienne institutrice viendront tourmenter les occupant·e·s des lieux. Les années quarante, cinquante et soixante ont été un vivier pour les productions gothiques et horrifiques. D’abord avec les productions Hammer Films qui avaient repris les monstres classiques de la Universal que cette dernière avait délaissée sur la fin en parodiant ses propres œuvres. Le cycle Edgar Allan Poe par Roger Corman ensuite, reprenant les fabuleux textes du Maître. Enfin, la pléthore de films italiens qui connut son âge d’or jusqu’aux années 1970.

Les Innocents est une œuvre à part dans les films ayant pour thème les fantômes. D’ordinaire, les codes de ce sous-genre nous habituent à des ambiances angoissantes et horrifiques plus ou moins frontales, ce film les dissémine très subtilement. Les apparitions spectrales sont rares et les ambiances se construisent sur des plans, des expressions de visages et un rythme doux et à la limite de l’onirique. Portée par un air triste et mélancolique, la bande originale du film réalisée par Georges Auric renforce cette impression de vivre un rêve. Ou un cauchemar pour Miss Giddens, qui sombrera dans une lente folie, une angoissante peur à la frontière de la paranoïa.

Les décors jouent aussi un rôle primordial pour installer ce climat fantasmagorique. Les statues dans le parc, trônant en véritables gardiennes, qui semblent en permanence surveiller les habitant·e·s de Bly dans une muette contemplation. Le lac avec sa végétation sauvage l’entourant, renforce l’âpreté des plans extérieurs. Âpreté, car même si le manoir dégage une impression de grandeur vu du dehors, l’intérieur est souvent étouffant avec son grenier rempli de vieilleries abandonnées en vrac, ses couloirs sombres où flottent la nuit les rideaux soufflés par des vents spectraux, puis l’escalier menant à la tour, interminable et resserré.

Les personnages hantent ce lieu, les vivant·e·s comme les mort·e·s. Miss Giddens, jouée par une Deborah Kerr, sublime l’endroit de beauté et de frustration contenue. Flora et Miles, les Innocent·e·s de ce film seront corrompu·e·s par les spectres de l’ancienne institutrice Miss Jessel et du valet, Quint. Et c’est là, la plus grande beauté mais aussi la plus grande tristesse de ce film. Car ce couple d’amant·e·s déchu·e·s, brûlé·e·s d’amour et se complaisant dans la dépravation, vont contaminer peu à peu le domaine et se servir des enfants pour ancrer leurs existences dans ce monde. Les enfants perdront finalement leur innocence pour le plaisir de ces deux êtres débauché·e·s.

Jack Clayton donne à l’ensemble une ambiance d’un songe éveillé, dans lequel les fantômes sont aussi visibles de jour comme de nuit. Il mettra tout son talent pour instaurer une atmosphère à l’opposé du grandiloquent. Ainsi, une intimité se crée afin que la cohésion de tous ces éléments, pourtant terrifiants, paraisse douce à l’écran. Les Innocents est une œuvre charnière dans le cinéma d’épouvante qui aura droit à un remake en 2020 (The Turning de Floria Sigismondi), d’une réadaptation en 2001 (Les Autres de Alejandro Amenabar) et d’une préquelle en 1971 (Le Corrupteur de Michael Winner). Elle influencera notamment la fabuleuse série Bly Manor (Mike Flanagan, 2020) actuellement disponible sur Netflix, tout en restant une référence dans les histoires de maisons hantées présentées à l’écran.


Auteur / autrice

  • The Old Dark House

    Rêveur perdu dans ses mondes imaginaires, poseur de mots à ses heures perdues, il transporte ses ressentis dans sa valise pleine à craquer. Il titube, il trébuche parce qu’il est ivre, mais ivre de mots et de films. L’épouvante est sa base mais il est friand de tous les sous-genres.

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