Réalisée par Ryan Murphy, connu pour son anthologie American Horror Story ou encore sa très féminine Scream Queens, Ratched est une série d’horreur suspens déclinée en 8 épisodes. Inspirée de l’infirmière Mildred Ratched, protagoniste imaginée par l’écrivain américain Ken Kesey et interprétée par Louise Fletcher dans Vol au-dessus d’un nid de coucou (Milos Forman, 1975), cette nouvelle série nous plonge dans le passé sombre de la jeune femme ainsi qu’à travers une critique de l’univers des hôpitaux psychiatriques américains des années 1940-1950. Présentée comme le prequel du film qui a raflé les Oscars des meilleurs film, réalisateur, scénario adapté et acteurs principaux pour Fletcher et Jack Nicholson, la série Ratched nous offre des personnages féminins hautes en couleur et quelque peu terrifiantes. Des effusions de sang doublées d’une esthétique colorée et flamboyante, font de ce thriller glauque et dynamique une nouvelle perle Netflix sur laquelle il est nécessaire de s’attarder.

La série commence avec le meurtre sanglant d’un groupe de prêtres par un tueur du nom d’Edmund Tolleson. Une vengeance meurtrière puisque le jeune homme accuse l’un des prêtres d’avoir violé sa mère, et de les avoir abandonné.e.s. Une information qui donne d’emblée le ton de la série : vengeance et jets d’hémoglobine au menu. De son côté, Miss Ratched, ancienne infirmière de guerre, cherche à rejoindre l’équipe du Dr Richard Hanover à l’hôpital psychiatrique Lucia en Californie. Cette dernière cache une face très obscure, qu’elle dévoilera tout au long de la série. Son but : sauver son frère, Edmund (Finn Wittrock), de la chaise électrique en le faisant passer pour fou.

Dès son arrivée à l’asile, elle sera témoin de pratiques dites médicales telles que la lobotomie, l’hydrothérapie, les conversions forcées, et d’autres joyeusetés imputables à un puritanisme chrétien d’une Amérique blanche, conservatrice et patriarcale d’après guerre. Quelques entorses à la déontologie des soignant.e.s pour servir ses intérêts plus tard, elle déchante rapidement et se rend compte que ces « soins » ressemblent davantage à de la torture qu’à des thérapies médicales et fera la rencontre de Gwendolyn Briggs, la responsable de campagne du Gouverneur de Californie. Ce dernier propose alors de baser sa campagne sur la lutte contre la maladie mentale et propose des fonds, plus que bienvenus, à l’hôpital qui a déjà du mal à joindre les deux bouts pour s’occuper des patient.e.s.

Alors que Vol au dessus d’un nid de coucou se concentrait sur le personnage masculin de Randall P. McMurphy joué à la perfection par Jack Nicholson, et son compagnon amérindien « le Chef », la série donne davantage la parole aux femmes, et nous donne le point de vue de l’infirmière cynique et autoritaire que deviendra Mildred dans le film. On retrouve alors « le Chef » dans sa tendre jeunesse à l’hôpital psychiatrique mais aussi les raisons du caractère si froid et malveillant de Miss Ratched. Rôle habituellement donné à la gente masculine, le tueur psychopathe intelligent, manipulateur et calculateur a trouvé une nouvelle égérie : Mildred Ratched, interprétée par la sulfureuse Sarah Paulson1 (connue pour ses rôles récurrents dans American Horror Story). Chantages, mensonges, coups montés, empoisonnements, Mildred est prête à tout. Détruite par les atrocités de la guerre et les violences subies durant son enfance, notre American Psycho féminin cherche néanmoins à sauver son frère et tombe de plus en plus sous le charme d’une femme. Jouée par la fabuleuse Cynthia Nixon2, actrice et militante des droits LGBTQI+, Gwendolyn apparaît comme le personnage le plus sincère et plus humain de cette série. Engagée et honnête, elle refuse de se mentir davantage et met fin à son faux mariage dans l’espoir de conquérir le cœur de Mildred. Un couple qui s’équilibre et qui se cherche à la fois touchant et paradoxal tant les deux personnages, bien qu’unies par un amour profond, ne possèdent pas les mêmes valeurs.

Ratched met en scène des femmes cherchant à défendre leurs intérêts, mais aussi des hommes : un fils, un amant, un frère. De l’infirmière nymphomane attirée par les bad boys à l’infirmière en chef perdue dans ses rêves de mariage en passant par l’assistante lesbienne, cachée derrière des sourires de façade, les femmes présentes dans la série cherchent à vivre comme elles l’entendent dans un monde qui ne laisse que peu de place à d’autres images de la féminité qu’une « belle allure, sage, silencieuse et prude », cliché cristallisé par les paroles du gouverneur lorsqu’il édictera à son assistante qu’elle a « un beau cul mais qu’elle doit fermer sa gueule ».

Tout est tourné pour que les actes ignobles de Miss Ratched apparaissent comme des actions charitables d’un ange de miséricorde. La jeune Mildred qui cherchait d’abord à sauver et à guérir les soldats blessés, sombre alors de plus en plus dans une folie meurtrière. Trahie par la vie, et par ceux.celles qui étaient censé.e.s la protéger, elle cherche à effacer la souffrance d’autrui, quitte à les délivrer par la mort. Désespérée, elle ira jusqu’à tuer des soldats condamnés pour leur apporter un dernier espoir : celui de ne pas souffrir en vain. Ce personnage apparait comme une protagoniste brisée qui, après être allée si loin dans l’horreur, ne peut plus revenir en arrière. Plutôt que de se lamenter sur sa condition, et celle de son frère, elle s’efforcera de créer ses propres « règles du jeu ». Le meurtre devient alors une catharsis, parfois une libération et presque toujours une nécessité. Les motivations profondes de Mildred deviennent alors limpides et ses actes de solidarité ainsi que son amour naissant avec Gwendolyn laisse paraitre une sorte de rédemption. Mildred aidera notamment un couple de patientes homosexuelles à prendre un nouveau départ après avoir constaté des affreuses techniques de conversion pour guérir cette soi-disant « déviance mentale ». Autant de compassion que de misanthropie qui caractérise la personnalité déterminée de Miss Ratched. À la fois aimante et terriblement violente, elle cherchera à protéger toutes les personnes qu’elle aime et ce quoi qu’il en coûte. Manipulatrice et brillante, Miss Ratched ne donne pas tant d’informations sur ses réelles pensées. Tout au long de la série, on ignore si ce qu’elle dit est vrai, et qui elle veut réellement aider. Ses discours étant le plus souvent opportunistes, l’infirmière tueuse change de camp comme de blouse.

Une féminité sauvage et assumée qui détruit les stéréotypes de genre et donne davantage de diversité à l’image du féminin dans une œuvre de qualité tout en reprenant l’un des grands classiques du cinéma américain. Ryan Murphy rend par la même occasion un hommage à Hitchcock et féminise cette œuvre colorée et maculée de sang.

La série présente un ensemble de personnages des deux genres complexes, changeant selon leurs intérêts, avec des objectifs très différents et égoïstes qui ponctuent le déroulement de l’action en des retournements de situation rocambolesques et originaux, rapprochant des protagonistes pour finalement les faire s’affronter un épisode plus tard. Le Docteur Hanover, toxicomane, rattrapé par son passé mais cherchant à être simplement utile à quelqu’un.e3 en guise de rédemption, l’assistante Gwendolyn fatiguée de se mentir à elle-même, mais surtout Lenore Osgood (Sharon Stone), mère d’un jeune homme ayant perdu ses bras et ses jambes à la suite d’une séance thérapeutique catastrophique réalisée avec le Docteur Hanover, dont l’objectif est de servir la tête de ce dernier à son fils en un dernier espoir d’une satisfaction vengeresse. Faisant ainsi écho à Mildred, Madame Osgood montre qu’elle est prête à tout pour apaiser la souffrance de son fils. Ces deux femmes apparaissent alors comme les deux faces d’une même pièce.


Une critique vient néanmoins entacher cet univers riche : il passe avec difficulté le Test de Bechdel. Les personnages féminins passent en effet la plupart de leur temps à discuter des hommes présentés dans la série. Ce fait est cependant rattrapé parce que la série retourne la tendance. Qu’est-on capable de réaliser pour le sourire d’une femme ? se transforme, se modernise, se féminise. L’homme devient à son tour l’objet d’un désir, d’une envie de protection, de femmes réglant leur vie dans l’ombre, dans le plus grand secret. Un étonnant paradoxe face à la place qu’elles occupent réellement à cette époque troublée : peu de poste de pouvoir et peu de considération. Et bien qu’elles ne disposent que de statuts peu enviables, ce sont ces femmes qui mènent la danse dans Ratched. Mildred n’hésite d’ailleurs pas à demander à un homme de devenir un objet sexuel pour des étranges fantasmes, avant de le conduire à sa perte. Un retournement des clichés de genre doublé d’une belle critique de la psychiatrie d’antan et de ses tortures médicales, de la peine de mort, de la thématique de l’euthanasie, mais aussi du traitement réservé aux personnes non-hétérosexuelles (avec la question d’une sexualité refoulée trop longtemps et de l’importance du coming out) et racisé.e.s dans une Amérique d’après la Grande Dépression, terriblement raciste, sexiste et conservatrice. Des traitements injustes et inhumains montrés à l’écran et transformés en une ode de liberté pour les personnes racisé.e.s et LGBTQI+, par une infirmière Ratched, censée être froide et sans cœur, pourtant compatissante et humaniste. Une liberté qui passera malheureusement mais nécessairement par le sang, la violence et le mensonge pour arriver à ses fins. Une certaine empathie se forme alors entre les spectateurs.trices et une Mildred, blessée mais obstinée essayant de légitimer les tâches de sang qu’elle porte sur ses gants de velours.

L’un.e des personnages les plus intéressant.e.s de Ratched est sans doute Charlotte Wells (Sophie Okonedo).

Patiente de l’établissement de Lucia, suivie de près par Hanover, dont une des personnalités n’est autre que celle de Jesse Owens, fait face à une triple peine en terme d’inégalités : femme, noire et schizophrène. Un clin d’œil magiquement placé envers le racisme institutionnel et systémique qui atteignit son apogée lors de la Seconde Guerre Mondiale et du déroulement des « Jeux Olympiques nazis » de 1936. Torturée par trois jeunes hommes, Charlotte fut contrainte au silence par un policier blanc, père de l’un de ses agresseurs, en échange d’un billet de 5 dollars. Le choc et la frustration de ce traumatisme seront à l’origine de sa pathologie et on ne peut pas s’empêcher d’esquisser un sourire fugace lorsqu’elle revient en force libérer Edmund, avec une phrase en tête : on récolte ce que l’on sème.

Plutôt que de vivre dans la peur et dans l’inaction, Mildred passe en mode offensive. Cherchant à régler les problèmes avant qu’ils ne l’atteignent, elle est une protagoniste active, actrice de son propre destin, une femme fatale qui sait tirer profit de son environnement pour agir à sa guise. Mais est-ce que quelqu’un.e est vraiment en mesure de saisir les intentions qui se cachent derrière l’air sérieux et déterminé de Mildred Ratched ? Sarah Paulson confiera d’ailleurs :

« C’est la force de l’engagement de Louise Fletcher envers le personnage, cette manière de ne rien révéler sur l’infirmière Ratched, qui rend cette infirmière tellement intrigante. Cela nous offre la possibilité de projeter nos propres émotions sur elle, de manière incroyable. »

  1. Sarah Paulson, véritable muse de Ryan Murphy, lutte pour les droits LGBTQI+. Se définissant comme bisexuelle puisqu’elle est avant tout « amoureuse d’une personne » sans donner une importance particulière à un genre, un sexe ou un âge, elle est d’ailleurs actuellement en couple avec l’actrice Holland Taylor qui est de 31 ans son aînée.
  2. Connue pour son rôle dans la série HBO Sex and The City, Cynthia Nixon s’est présentée aux élections pour le poste du Gouverneur de New York en 2018. Profondément démocrate et progressiste, elle se définit comme bisexuelle et s’engage au quotidien pour une meilleure représentation des LGBTQI+ dans la société américaine et dans l’art. 
  3. D’origine philippine, le docteur Hanover sera rapidement à la merci de Miss Ratched. Il apparaitra alors comme un personnage passif et au bord du gouffre en opposition avec l’entêtement et la main de fer de Mildred. Cherchant en réalité à réaliser son rêve : être utile à quelqu’un et guérir réellement une personne, ce but lui sera d’ailleurs fatal puisqu’il sera sauvagement assassiné par la personne même qu’il cherchait à soigner.

Auteur / autrice

  • Syneha Raktajin0

    Elle aime lire, écrire – des phrases beaucoup trop longues –, voyager, jouer aux jeux vidéo, en particulier les RPG Japonais, et regarder des films de genre à gogo, surtout ceux qui donnent des frissons tout partout ! Sorcière au caractère lunatique qui passe du rire aux larmes bien trop facilement, elle se prend à rêver à des utopies à la Star Trek ou encore une romance à la Pocahontas – au détour de la rivière sous un saule pleureur-mamie gâteaux. Son style favori : sa broche du prisme lunaire et ses commandes d’invocation de Gilgamesh tatouées sur sa main gauche.

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