S’il y a bien un film que les fans de cinéma de genre attendaient avec impatience et qui suscitait les passions sur les différentes webzines horreur, ce fut bien Saint Maud (2019). Financé par Film4 Productions ainsi que la British Film Institute, réalisé par Rose Glass et distribué par là par la fameuse filiale A24, connue pour ses films complexes voire carrément arty, Saint Maud fera en France l’objet d’une véritable malédiction divine : dates de sorties dans les salles obscures repoussées plusieurs fois pour cause de pandémie lié au COVID-19, pour se voir finalement totalement annulé étant donné la date de réouverture des cinémas au sein de l’Hexagone. L’attente fut donc pour moi très longue avant de découvrir ce film aux nombreuses promesses et au grand potentiel artistique. Le premier visionnage fut une frustration pour moi tant la déception était grande, cependant un deuxième regard porté sur le film quelques jours avant d’écrire cet article m’a permis de l’approcher sous un nouvel angle, et de l’apprécier à sa juste valeur. Préparez-vous car nous allons embarquer dans un merveilleux voyage vers la grâce divine !

Pour commencer Saint Maud propose un postulat que je trouve très pertinent, à savoir suivre la vie d’une femme certes tourmentée mais animée par une foi puissante, tel est le reflet de la scène d’ouverture qui annonce les enjeux que nous serons amenés à revoir durant tout le long de l’œuvre de Glass. Pour son premier film, la réalisatrice nous livre une véritable œuvre cinématographique riche en symbolisme et en métaphores, car oui lorsque l’on veut s’attaquer à un sujet aussi complexe que la religion dans son rapport avec la société et les personnes qui nous entourent, il faut rivaliser d’idées afin d’amener l’horreur qu’on attend. Et c’est là que le film se montre assez surprenant, l’horreur n’est pas réellement la clé de ce film tant elle est distillée dans les symboles de la foi. Parmi ces symboles on trouve Maud qui va mettre son existence entre les mains de Dieu quitte à se mutiler, se priver de nourriture, ou à prier de manière intense tout en se blessant volontairement.

Il y a donc une omniprésence de la fragilité du corps au service de la foi qui fait basculer le film doucement mais sûrement dans un thriller psychologique teinté de body-horror qui ne se fait jamais trop grand guignolesque, le sang se fait voir mais uniquement pour renforcer la torture mentale volontaire de Maud. Glass reprends donc avec brio une thématique religieuse fondamentale que l’on retrouve particulièrement chez les femmes dans le christianisme catholique : la figure de la mystique. En terme général la mystique comme elle est définie au XVe siècle par Denys l’Aéropagite dans son traité de La Théologie mystique est une nouvelle forme d’accès à la connaissance de Dieu, cette connaissance et son accès sont purement personnels si bien que la mystique garde une part de mystère symbolique que l’on retrouve dans Saint Maud, les religieuses mystiques étant persuadées d’être en contact permanent avec Dieu aussi bien psychologiquement que corporellement. En outre Maud fonde avec Dieu une relation à la tension sexuelle très forte à travers des scènes de possessions semblables à un viol métaphorique, conception que l’on retrouve souvent au Moyen Âge chez les religieuses mystiques qui pour éprouver de telles sensations n’hésitent pas à se mutiler et à subir des privations multiples afin d’entrer en transe.

On retrouve déjà donc la thématique de la prédestination que partage Maud avec les saint·e·s du christianisme catholique, ainsi que le combat contre les vices d’un monde moderne jugé obscène. On évolue ainsi dans une Angleterre rongée par l’envie de l’argent, du sexe et des plaisirs matérialistes qui contraste avec la sobriété de l’appartement de Maud, faisant penser à une véritable cellule monastique. C’est dans ce même appartement d’ailleurs que l’on voit la psychologie du personnage évoluer dans ses différents stades : du doute, à la révélation, et de la révélation à la folie. Le monde dépeint par Glass est hostile à la croyance, tout comme les relations qu’entretient Maud avec les personnes qu’elle fréquente, qui sont assimilées à des antéchrists qu’elle doit éliminer. Ainsi, Saint Maud se comprend comme un véritable récit de saint·e·s, on retrouve toutes les thématiques et les schémas narratifs de l’hagiographie chrétienne à travers une œuvre qui se veut un reflet de La Légende dorée de Jacques de Voragine. Cependant, à la manière d’une réalisatrice du cinéma de genre et donc contrairement aux récits de La Légende Dorée, il y a un authentique doute sur la foi de Maud, Glass met en scène sa protagoniste dans un cadre visuel et narratif très sobre afin de brouiller l’esprit de son public qui ne sait si Maud est une mystique ou une simple folle, son passé se trouvant flou et troublé pour bien insister sur cette ambiguïté.

Cependant, on regrettera le plus grand défaut du film qui est sans doute sa durée qui, en conséquence, nous livre une œuvre chargée de sens mais qui ne prend pas assez le temps d’insister sur les postulats que la cinéaste pose dès les premières minutes de son film, si bien que la dimension horrifique et religieuse semble mal s’emboiter. On ressort ainsi soulagé·e de voir un film jongler brillamment avec des thématiques religieuses complexes mais en même temps déçu·e tant l’horreur mystique et profonde semble peu identifiable dans ses origines et ses modalités, ajoutez à cela quelques effets visuels numériques qui rentrent parfois trop en contradiction avec la sobriété plastique du métrage, et vous obtenez un film intriguant bourré de bonnes idées, mais qui peine à affirmer son côté horrifique en se reposant pleinement sur la profondeur psychologique du personnage de Maud.


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