Les éditions LettMotif nous offre Sexe & déviances, un format de poche qui revient sur la censure du sexe au cinéma. Appartenant à la collection Darkness, censure et cinéma sous la direction de Christophe Triollet, Sexe & déviances révise les multiples interdictions auxquels sont confrontés les contenus audiovisuels « coquins » lors de leur passage sur grand écran. Cet ouvrage analytique aborde une approche historique, juridique et culturelle de la représentation de cette sexualité humaine montrée et vendue aux yeux d’un public. La question se pose alors : Art, représentation ou voyeurisme malsain ? En 1976, les articles 11 et 12 de la loi de finances étaient censés trancher en séparant les films pornographiques de tous les autres. Seulement, un flou juridique autour de la définition de la pornographie reste jusqu’en 1979, année durant laquelle la jurisprudence classe dans les œuvres à caractère pornographique, et donc interdites aux mineur.e.s, selon une définition plus claire : « un film qui présente au public sans recherche esthétique et avec une crudité provocante des scènes de la vie sexuelle [sauf s’il est essentiellement consacré à la représentation minutieuse de violences et perversions sexuelles dégradantes pour la personne humaine] ». Le paradoxe se creuse : il y a donc des films jugés pornos qui décrivent des relations sexuelles dites « normales » entre adultes et d’autres œuvres perçues comme conventionnelles, pouvant néanmoins être interdits aux mineur·e·s parce qu’elles dévoilent la nudité des corps.

En 1990, les mœurs se transforment et l’interdiction aux moins de 18 ans se transforme en moins de 16 ans (sauf pour les films X) mais c’est dans les années 2000 que le débat revient sur le devant de la scène avec la projection de Baise-moi (Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi) dont la succession de scènes de sexe non simulées impose son interdiction à l’ensemble des mineur·e·s. Le gouvernement en profite alors pour réinstaurer l’interdiction aux – 18 ans en 2001 envers toutes les œuvres qui contiennent des scènes sexuelles non simulées. Au fil des années qui s’écoulent, de plus en plus de scènes crues et explicites passent du + de  16 ans au + de 18 ans jusqu’à ce que l’ensemble des films qu’ils soient pornographiques ou non contenant des scènes de sexe non simulées soient interdits aux mineur·e·s, avec l’interdiction imposée à Love (Gaspar Noé) en 2015. Il en ressort alors de plus en plus de questionnements. Tandis que la pornographie d’exploitation met en scène des rapports sexuels non simulés, axés sur la performance, peu représentatifs de la vie sexuelle commune, et souvent réalisés au détriment de l’image de la femme, le cinéma se retrouve également censuré dans sa volonté de représenter cette partie pourtant essentielle des activités humaines à l’écran…

En 374 pages, les auteur·e·s reviennent sur la définition de la pornographie et les limites de l’indécence dans un cadre juridique et cinéphile. D’un style commun minutieux, ce livre détaille la censure à laquelle sont systématiquement confrontés les scènes de nudité et les actes sexuels (simulés ou non) dans l’industrie cinématographique. 

Entre le cinéma d’exploitation qui voit en le contenu pornographique une industrie plus que lucrative et les défenseurs de la morale au conservatisme exacerbé, la représentation du sexe à l’écran donne beaucoup d’informations sur l’évolution idéologique de nos cultures. Elle intrigue et questionne la société dans son ensemble. Comment parvenir à un compromis viable entre les partisan·e·s d’une liberté d’expression absolue et les réactionnaires qui s’affirment en moralistes convaincu·e·s ?

« La description des organes sexuels ou des ébats amoureux a toujours été et demeure encore une source de vifs débats. Notre société, qui revendique au monde la modernité de la démocratie érigée en modèle, reste pourtant très partagée lorsqu’on lui parle de sexe. »

(Christophe Triollet, 2019, p.13 in : Sex, censure et cinéma)

Cette idée que des images « interdites » existent bel et bien dans nos sociétés dites modernes montrent que de nombreux tabous perdurent depuis l’époque ancienne. Comme si elles étaient dotées d’un pouvoir magique par le simple fait qu’elles représentent des actes ou certains objets qui porteraient encore la trace d’un tabou ancien, ces images perturbent et imputent à celles et ceux qui bravent l’interdit en les « touchant » le statut d’hérétiques. On le voit encore de nos jours avec les multiples interdictions quasi-religieuses imposées à la femme, à son cycle reproductif ainsi qu’au plaisir féminin dans sa représentation et dans son utilisation. Comme si la femme disposait d’une dimension mystique dont l’homme profane n’aurait pas accès. Mystification ou tentative de contrôle de la reproduction, l’acte sexuel apparaît comme tabou « puisqu’il fait appel au désir le plus intense, le plus dangereux, de l’existence humaine » (Amos Voguel). Pour contourner ces interdits, le cinéma fait preuve d’ingéniosité et de tactiques visant à transgresser ce tabou millénaire au nom du septième art. Qui ne préférerait pas voir à l’écran une sexualité apaisée, consentie et jouissive qui montre finalement le plus bel acte d’amour entre humain·e·s ?

Des caractéristiques de la jurisprudence à la française aux images trompeuses sur la sexualité renvoyées par la pornographie au travers de performances presque inhumaines et de gros plans peu intéressants d’un point de vue scénaristique (dont les plus jeunes, qui n’ont pas forcément conscience qu’il s’agit là d’une mise en scène souvent sexiste et brutale de la sexualité, doivent être préservé·e·s) en passant par les films érotiques japonais ou encore les scènes de nudité du cinéma hollywoodien, Sexe & déviances revient, sans jugement moral et avec une belle analyse, sur la monstration du sexe à l’écran !

Du film Emmanuelle (Just Jaeckin, 1974), qui subit de nombreuses coupes avant d’être réhabilité la même année suite à la mort de Georges Pompidou et à la nomination de Michel Guy en nouveau secrétaire d’État à la Culture, à la série Game of Thrones (HBO, initiée en 2011) charcutée dans de nombreux pays, la censure fluctue et se transforme selon les zones géographiques et les époques selon l’idéologie en vigueur qui oscille entre conservatisme et liberté d’expression.

« Tous les films doivent pouvoir sortir sans distinction. Je ne me reconnais pas le droit d’interdire à des spectateurs adultes la possibilité de voir les films qu’ils désirent. En 1975, les gens choisissent ce qu’ils veulent voir et je dois les laisser libres. »

(Michel Guy, Secrétaire d’État à la Culture de 1974 à 1976)

Tandis que les corps continuent de se dévoiler dans le cinéma d’auteur, d’autres œuvres se retrouvent censurées parce qu’elles mettent en scène des plaisirs sexuels et des transgressions montrées comme amusantes et positives (Les Valseuses de Bertrand Blier, 1973). Outre les images explicites, ce sont donc les intentions dites provocatrices des cinéastes qui se retrouvent sanctionnées, puisque trop à même d’influencer les nouvelles générations (Laurent Garreau). La censure qui se veut garante de l’ordre social et d’une moralité normée transforme alors l’expression de la sensualité, de la sexualité ou encore de l’amour à l’écran en culpabilisation des désirs. L’érotisme, pourtant une forme de célébration de la vie et de ses plaisirs, fait « mauvais genre » comme le montre un bon nombre d’affiches de films censurées pour « outrage aux bonnes mœurs » (Christophe Triollet).

L’érotisme nippon pour lequel les expressions du visage comptent davantage que les plans de pénétrations peu imaginatifs exhibe une pornographie plus originale, plus recherchée, dans la présentation des fantasmes à l’écran comme le montrent les titres à rallonge du pinku eiga (Agnès Giard) mais peut aussi se révéler terriblement violente (le cinéma enragé en tête) avec ses viols et ses fantasmes d’écolières soumises.

 

La pornographie est-elle pour les hommes ?

La femme se retrouve systématiquement jugée par rapport à son attitude vis-à-vis du sexe (Alain Brassart). La dichotomie de « la mère et de la putain » reste ancrée dans les perceptions modernes de nos cultures occidentales qui prônent pourtant la liberté de choix pour tout individu. La figure de la « mère » reste associée à l’amour pur, dénué de sexualité, dans nos sociétés patriarcales tandis que celle de la femme sexy, celle assumant sa sexualité et qui sort du schéma de la femme soumise, seront ainsi méprisées (à l’instar des actrices porno) par les moralistes bien qu’elle fasse fantasmer les hommes. Entre le slut shaming et l’injonction à la soumission aux « besoins » masculins, la femme n’a que peu de choix. Dans le porno masculin, on assiste souvent à la soumission des femmes, passives, aux désirs de l’homme. Cette « norme pornographique » pose de nombreux soucis en même temps qu’un porno féministe se met de plus en plus en place. Donnant une place centrale au plaisir sexuel ainsi qu’à l’orgasme féminin qui n’est pas subordonnés à celui du partenaire, les films de Virginie Despentes ou d’Ovidie sont régulièrement classés X et davantage jugés pour leurs intentions féministes que pour le contenu, tandis que les films de Catherine Breillat ou de Bertrand Bonello montrant également des scènes explicites sont classés en « cinéma d’auteur ». La liberté sexuelle ne concernerait-elle donc que le genre masculin ?

Et bien que la monstration de la sexualité et de la violence à l’écran soit communément admise dans nos cultures occidentales, le sexe se retrouve tout de même déprécié lorsqu’il se veut transgressif, hors norme, différent de la vie sexuelle commune. La censure qui se veut garante de l’ordre social et moral se rapproche alors d’une volonté de protéger les valeurs traditionnelles et conservatrices de nos sociétés occidentales, majoritairement judéo-chrétiennes (les critiques de la religion, de la famille et du patriarcat étant mal tolérées).

Contournant la censure grâce à la suggestion, les surréalistes (comme le cinéma de Luis Buñuel) transgressent les tabous et les interdits en mettant en scène toutes sortes de fantasmes et de paraphilies tout en s’attaquant aux normes sociétales, aux conventions sociales ainsi qu’aux instituions (Albert Montagne).

« Si l’on croit les surréalistes, rien ne peut s’opposer au fardeau mortel des institutions et de l’ordre établi excepté l’amour fou, irrationnel, anarchique. »

Amos Voguel

Et pourquoi pas de la douceur, de la diversité, de l’égalité ? Une pornographie qui prend en compte le plaisir féminin et ses envies, ainsi débarrassée des représentations masculinistes de la sexualité qui sont légion dans la pornographie actuelle, une normalisation des corps pour que tou·te·s soient répresenté·e·s dans des scènes de nu ou de rapports sexuels qu’ils soient simulés ou non, une plus grande diversité de paraphilies, moins de « performance sexuelle » et davantage de respect des corps… l’important étant le consentement, le plaisir et l’art !


Auteur / autrice

  • Syneha Raktajin0

    Elle aime lire, écrire – des phrases beaucoup trop longues –, voyager, jouer aux jeux vidéo, en particulier les RPG Japonais, et regarder des films de genre à gogo, surtout ceux qui donnent des frissons tout partout ! Sorcière au caractère lunatique qui passe du rire aux larmes bien trop facilement, elle se prend à rêver à des utopies à la Star Trek ou encore une romance à la Pocahontas – au détour de la rivière sous un saule pleureur-mamie gâteaux. Son style favori : sa broche du prisme lunaire et ses commandes d’invocation de Gilgamesh tatouées sur sa main gauche.

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