Deux thèmes sont passionnants à découvrir chez les gens, dans les œuvres d’art et sur les réseaux : l’Éros et le Thanatos, leur rapport à la vie et à la mort, la création face à la destruction, l’amour contre la violence, l’érotisme face à l’horreur, le désir et les passions humaines face aux pulsions de mort, du quotidien aliénant et inlassablement morne aux moments de folie et d’exaltation de nos vies jusqu’à l’immuable flétrissure de la chair. Jideka est un artiste qui se trouve plutôt du côté kinky de la balance avec des illustrations de sublimes pin-ups qui nous propulsent dans une atmosphère plutôt chill et légère. Des couleurs aquarelles à son style rétro, Jideka reprend l’esthétique des années 1950 et une certaine imagerie associée à ces femmes libérées. La pin-up commence à faire son entrée dans la pop culture underground avec les dirty comics et les pulps américains dans les années 1930 puis est en vogue chez les militaires durant la Seconde Guerre mondiale. Une origine peut-être plus bienveillante à ces femmes érotisées qui finiront par glisser vers une production en masse de l’érotisme, disparaissant avec l’arrivée de la pornographie mainstream et des magazines spécialisés sur le marché après les années 1970. Elle est un idéal masculin mais aussi un symbole de liberté et de réappropriation du corps féminin en opposition avec la figure de la ménagère et de la femme au foyer. En suivant la logique de la mère et la putain qui veut qu’une femme ne puisse n’être que dans l’une ou dans l’autre catégorie, elle est une forme de femme fatale, une poupée pourtant issue de fantasmes masculins mais qui se montre provocante et puissante et qui rejette les codes de la bienséance féminine. Prison patriarcal ou empowerment ? Icône du male gaze ou du féminisme ? De Betty Boop à Bettie Page, de Marilyn Monroe à Dita von Teese, cette figure féminine perturbe et marque les esprits par sa légèreté, son élégance, et son amour de la sensualité et l’artiste Jideka fait revivre les pin-ups sous sa griffe avec beaucoup de volupté !


Bonjour, Jideka ! Peux-tu te présenter ? Depuis combien de temps, tu fais ce genre d’art ? 

Je m’appelle Jérémie Durand Knittel ou Jideka c’est plus court, c’est basé sur mes initiales. Je suis graphiste freelance et je réside sur Angoulême depuis presque 10 ans maintenant. Je me suis remis à dessiner de façon traditionnelle à peu près à mon arrivée sur Angoulême pour palier à ma pratique infographique qui commençait à me lasser. Je voulais retrouver le contact avec la matière en quelque sorte, les sensations et le bruit du crayon qui frotte sur le grain du papier. C’est à cette période que j’ai commencé à dessiner des pin-ups vintage principalement aux crayons aquarellables et aux feutres fins pour les contours. J’ai fait des tirages numériques de cette série que j’ai exposés et vendus sur des salons rétro en Charente en 2017 (il me reste des tirages et des cartes postales pour information ! 🙂)

Quelles sont tes inspirations ? J’ai vu beaucoup de Disney dans tes collections ou de pin-ups, tu aimes les films d’animation ? Il y a un film ou une œuvre qui t’aurait particulièrement marqué ? 

Mes inspirations artistiques sont plutôt tournées vers les années 90. Quand j’étais ado, je collectionnais tout ce que trouvait sur Dave McKean, un illustrateur/photographe britannique de génie. Il réalisait beaucoup de pochettes de groupes que j’écoutais à cette période comme Fear Factory, Machine Head, Testament, Paradise Lost… Il s’est aussi distingué avec ses graphic novels dans l’univers de DC comics comme Batman Arkham Asylum, qui a fortement inspiré la série des jeux vidéos par la suite. Dans la même famille artistique j’aime beaucoup Bill Sienkiewicz, George Pratt, Ashley Wood, Tim Sale et Kent Williams qui étaient a peu près les seuls illustrateurs que je trouvais originaux dans la scène comics à cette époque. J’ai d’ailleurs en horreur tout ce qui sort chez Marvel de nos jours à quelques exceptions près.

Disney comme inspiration ? Alors non pas du tout, je pense que tu fais allusion au personnage d’Esmeralda que j’ai illustré mais c’était plus une référence au personnage du livre de Victor Hugo pour le coup. Pour moi Disney, ça s’est arrêté plus ou moins dans les années 80. La meilleure période pour moi c’est les années 60-70. L’œuvre d’animation qui m’a le plus marqué c’est le film Akira de Katsuhiro Otomo, que j’ai vu au cinéma en 1991. J’étais à fond dans les mangas avec mon frère, à une époque où peu de titres étaient traduits en français. Akira c’était une claque monumentale, je suis ressorti de la projection complètement sonné ! Toute la scène manga des années 90 est complètement dingue : Masamune Shirow (Appleseed, Orion), Kia Asamiya (Silent Mobius), Ryoichi Ikegami (Crying Freeman), Yukito Kishiro (Gunnm), Yoshiyuki Sadamoto (Neon Genesis Evangelion) et je pourrais en citer des dizaines ! Je ne retrouve pas ce talent dans les auteurs de la production japonaise de nos jours. 

Pourquoi tu dessines que des femmes ? 

C’est une très bonne question que je ne m’étais jamais posée. Je pense que le sujet féminin est le seul que je ne me lasse jamais d’aborder. Le corps et la beauté féminine sont une source inépuisable d’inspiration et de satisfaction pour moi. Comme tous les peintres classiques ou de la Renaissance, c’est un idéal que l’on essaye d’atteindre à chaque tentative sans réellement y parvenir. C’est un peu une quête sans fin quoi.

Quelles sont les raisons qui t’ont poussé à réaliser ce projet ? Comment ça se passe concrètement lorsque tu crées ? 

Comme je disais, j’ai eu besoin de me déconnecter de mon ordi à un moment donné pour ressortir les crayons, les feutres et les blocs de papier aquarelle. En général pour dessiner, il me faut une lumière naturelle assez forte, j’ai ma table à dessiner à coté des fenêtres qui donnent sur les berges de la Charente. Je mets souvent de la musique en rapport avec l’ambiance que j’essaye de retranscrire et je me lance. 

Est-ce que tu utilises l’IA dans tes créations ? Qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce que les nouvelles technologies t’aident à créer ?

Oui depuis un an environ, je me suis intéressé aux IA génératives au début par curiosité, et puis très rapidement pour expérimenter autour de ma pratique artistique personnelle. Au départ je n’étais pas du tout satisfait avec les rendus que j’obtenais sur Midjourney sans parler des difficultés à reproduire l’anatomie ou les interactions entre personnages. Cela reste un point très perfectible même aujourd’hui. C’est un outil qui reste très intéressant pour faire des maquettes de compositions, des scènes de paysage ou pour générer des ambiances très précises. Ce qui m’a poussé à persévérer dans cette pratique c’est l’utilisation des LoRA avec Stable Diffusion. En fait, j’ai utilisé mes propres dessins comme référence afin de créer un modèle sur mesure.

Cela permet de réduire les délais de réalisation notamment sur l’aquarelle traditionnelle qui est très restrictive pour les temps de séchage par exemple. Néanmoins, une grosse étape de retouche numérique est toujours nécessaire afin de corriger les grosses erreurs que génère L’IA actuellement.

Tu as une routine particulière quand tu t’y mets ? 

Pas vraiment, ça vient en fonction de l’inspiration. Mais en général sur l’ordi je travaille de nuit avec le casque vissé sur les oreilles et la musique à fond. Là je ne vois plus le temps passer et il m’arrive parfois de voir le jour se lever et d’entendre les oiseaux gazouiller sans que je ne me sois levé de mon fauteuil !

Comment est-ce que tu te perçois en tant qu’artiste ?

Je ne me considère pas du tout comme un illustrateur au sens strict, mais plus comme un faiseur d’images. Je suis tout à fait conscient de ma place face à des génies absolus comme Milo Manara, Giovanna Casotto, Maly Siri, Apollonia Saintclair ou Olivia de Berardinis dans un style qui est proche de mon travail. 

Ces artistes ont voué leur vie entière à peaufiner leur artisanat à apprendre l’anatomie, la perspective, le rendu des textures ; ont passé des centaines de milliers d’heures à noircir du papier en maitrisant des techniques de dessin nombreuses et complexes. Alors oui, à côté de ces maitres, je reste humble.

Qu’est-ce que tu essaies de partager ou de faire passer comme message à ton public ?

Je n’ai pas de message à faire passer à proprement parler, je suis juste heureux de pouvoir partager mes créations et si ça peut en inspirer certains c’est encore mieux. 

C’est quoi ton rêve ou l’objectif le plus dingue de Jideka ? 

Dans l’idéal, j’aimerais améliorer davantage ma technique de dessin traditionnelle pour commencer à raconter des histoires. Un strip comic par exemple comme Snoopy ou Calvin et Hobbes, ce serait génial ! Mais ça… c’est un énorme challenge !!!



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