Quatrième volume de la collection Darkness Censure & Cinéma dirigée par Christophe Triollet aux éditions LettMotif, Video Nasties revient sur la vague de panique qui a secoué le royaume de Sa Majesté au début des années 80.

Évoquant une des pages les plus sombres de l’histoire de la Grande-Bretagne et du cinéma, l’ouvrage arpente les territoires obscurs de la série de censures qui frappa la « Perfide Albion » à partir de la moitié des années 70 jusqu’en 1985, date d’entrée en vigueur du Video Recording Act (VRA) et de la transformation du British Board of Film Censors en British Board of Film Classification. Celui-ci « est chargé de faire respecter la loi qui oblige […] les éditeurs (de films en VHS : NDLR) à faire certifier les vidéos proposées au Royaume-Uni sous peine d’une amende pouvant aller jusqu’à 20 000 £ […], bien que, aucune peine de prison n’est prévue » ! La censure culminant en 1983 avec l’établissement de l’infamante liste de 72 films édités en vidéo rentrés désormais dans l’histoire du cinéma sous le nom de Video Nasties !

Le Dr. Ivor H. Mills explique aux lecteurs du journal (Le Daily Mirror : NDLR) que le fait de regarder des Video Nasties peut installer durablement une addiction pour ce genre de spectacle. Une conclusion que les amateurs de cinéma bis ne démentiront pas.

VHS, support du diable !

Indissociable de l’histoire du magnétoscope et de la VHS, inventions maudites pour les uns (les grands studios américains au début de la VHS) ou objets fétiches pour les autres (la plupart des fans de cinéma de genre), la censure semble coller à la peau des technologies créées par Sony et JVC, tant leurs opposant·e·s ont été légion durant toute la durée de vie de ce support analogique !

Et tout commence en janvier 1982 lorsque l’éditeur anglais Vipco (Video Instant Picture Company) annonce avec une fracassante campagne publicitaire la sortie en VHS du film d’Abel Ferrara The Driller Killer. Une véritable chasse aux sorcières va alors s’abattre sur certains films et leurs éditeurs en vidéos VHS qui voient dans ces œuvres filmiques, qualifiés de Video Nasties pour la première fois par le journaliste Peter Chipendale dans un numéro du Sunday times, l’origine des violences qui éclatent un peu partout dans la société anglaise à cette époque. La situation économique difficile des classes populaires et donc sociale qui en découle n’y étant, bien sûr, pour rien !

Ainsi, sous la pression conjuguée de plusieurs groupes religieux et de certains journaux conservateurs, la justice et la politique s’emparent du « problème » et alors que le gouvernement anglais prépare une loi pour encadrer la diffusion des films sur support VHS, le DPP (Director of Public Prosecutions), « un peu l’équivalent du Parquet français« , dresse, à la demande des éditeurs qui souhaitent se protéger d’éventuelles poursuites judiciaires, une liste de 72 films interdits de diffusion en vidéo sur tout le territoire du Royaume-Uni.

Censure et cinéma en Grande Bretagne

Ouvrage collectif, Video Nasties s’ouvre par un rappel de la définition du concept de « censure » et son évolution au cours de l’Histoire des sociétés humaines. Il s’agirait toujours plus ou moins de défendre une doctrine ou/et un corps social contre une menace de corruption venant d’agents internes ou étrangers. Le censeur ne se réfère pas à loi, mais juge en fonction d’une morale fluctuante qui prétend savoir ce qui est acceptable ou inacceptable dans le but de défendre des concepts aussi délétères que « l’intérêt général », « la morale publique » ou « les bonnes mœurs ».

Souvent imposée par les classes dominantes par l’intermédiaire de leur instrument privilégié qu’est la politique, reflétant leurs toutes personnelles et moralisantes conceptions ce qui serait « bon » ou « mauvais », de ce qui serait déviant ou non, la censure tendrait à protéger les groupes les plus « fragiles », « les classes populaires » et les « enfants », en somme des êtres perçus naturellement comme incapables de percevoir le danger qui pèserait sur eux. La censure serait donc un mal nécessaire pour éviter la chute de la civilisation et le retour de la barbarie (sic) !

Clifford Hill, en charge d’une commission d’enquête parlementaire sur la classification des vidéogrammes (en 1982 : NDLR), affirme que des « vingt-sept civilisations que le monde a connues jusqu’à nos jours, chacune s’est effondrée par l’action du désordre moral et de la corruption. Le même destin attend la Grande-Bretagne dans un futur proche avec la perversion systématique que nos enfants et la morale corrompue de nombre de nos citoyens. »

Après cette introduction, le livre passe en revue « un siècle de censure britannique du cinéma » et nous rappelle que la Grande-Bretagne est loin d’être cette terre de la libre expression que l’imaginaire populaire semble lui accorder. Au contraire, le pays de Sa Majesté a multiplié depuis 1912, date de la création du British Board of Film Censors, les lois qui restreignent et encadrent plus ou moins fortement la liberté de diffusion d’œuvres destinées au public, surtout dans le domaine du cinéma et de la vidéo, avec un consensus plutôt important de la société britannique. Et la partie que le livre consacre aux « titres alarmistes de la presse britannique » concernant les Video Nasties, publiés entre les mois de juin 1983 et août 1997 est révélatrice de l’acharnement et du rôle joué par les journaux anglais dans cette « incroyable chasse aux sorcières » que l’article homonyme de Christophe Triollet relate avec détails.

Le Royaume-Uni possède des pratiques de censure filmiques parmi les plus contraignantes des pays démocratiques. Mêmes si ces pratiques se sont progressivement adoucies, elles restent l’expression des angoisses avouées de ceux qui sont chargés d’imaginer et de faire appliquer des codes de bonne conduite dans une société traditionnellement coercitive où, pour donner un seul exemple anecdotique, le jeu de quilles était sévèrement règlementé il y a deux siècles.

72 vidéos maudites !

Enfin, la dernière partie du livre est consacrée, justement, à cette fameuse liste des 72 Video Nasties à l’origine de cette panique au Royaume de Sa Majesté et qui sont revisitées par les différents auteurs qui ont participé à l’élaboration de cet ouvrage. Ainsi, les amateur·trice·s de cinéma de genre peuvent (re)découvrir des films aussi cultes que Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato (revue par Stéphane Erbisti), Blood Feast de Herschell Gordon Lewis (revue par Fred Pizzoferrato), Inferno de Dario Argento (revue par Gilles Penso) ou encore La Bête tue de sang-froid de Aldo Lado (revue par David Didelot).

Ce quatrième volume confirme la qualité éditoriale de la collection Darkness Censure & Cinéma et se révèle être un livre tout aussi bien intéressant qu’instructif pour toutes personnes amatrices de cinéma de genre, apportant un éclairage important sur une page sombre de l’histoire du cinéma britannique et mondiale. Cette collection, dont le dernier numéro est consacré à la censure en Italie, nous rappelle que le concept de liberté d’expression est une notion très fragile et souvent mise en danger par les gouvernant·e·s sur toute la planète et quelles que soient les époques.


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