Film indépendant en provenance d’Australie, Sissy (Hannah Barlow & Kane Senes, 2022) est un thriller horrifique et psychologique qui déboîte. Le pitch : Influenceuse au sujet de la santé mentale, la jeune Cecilia (interprétée par Aisha Dee) souffre d’angoisse répétée suite à un drame de son enfance, la femme croise, par hasard, sa meilleure amie du bon vieux temps, Emma (Hannah Barlow, elle-même) dans les rayons d’une pharmacie. Après un champ contre-champ en face cam aussi intimiste que malaisant, Emma invite son ancienne amie à son enterrement de vie de jeune fille.

Surfant sur la vague du lifestyle et des conseils bien-être, Cecilia est une vlogeuse accomplie qui n’est pourtant que très peu entourée. Semblant mal à l’aise avec les relations sociales, elle s’exprime pleinement via ses social medias en cherchant à aider sa communauté à surmonter les petits problèmes du quotidien. Malgré cette apparente positivité, un souvenir semble hanter notre héroïne : La phrase » Sissy fait des chichis » édictée à l’unisson par plusieurs petites filles résonne encore dans sa tête…
Cecilia, coincée dans un passé idéalisé, flottant entre plusieurs réalités, se retrouve soudainement confrontée à ses actions passées et au harcèlement. Entre d’anciens traumatismes, une nostalgie enfantine, une image construite sur les réseaux sociaux, la gestion de sa communauté et des liens sociaux dénaturés, elle perdra peu à peu la boule jusqu’à une effusion totale de sang et violence !
Dans Sissy, des scènes gores se mélangent à des séquences surréalistes entre personnification des paysages et des décors, ainsi que des dialogues totalement dingues et des maladresses destructrices qui établissent un décalage chimérique et plutôt funky entre des expériences traumatiques et une réalité extrêmement brutale mise en scène. En gros, les morts s’accumulent petit à petit jusqu’à un final explosif et viscéral !
Au premier abord douce et à l’écoute, Cecilia tente tant bien que mal de communiquer et de s’intégrer dans cette petite communauté. Néanmoins, la réaction de ce nouveau groupe à sa venue n’est pas très agréable… les critiques dans le dos et l’hypocrisie flagrante des ami·e·s d’Emma envers la nouvelle venue quant à son travail d’influenceuse et son passé ne cessent de s’envenimer. D’aucun·e, hormis Emma, ne semble prompt·e à lui offrir la reconnaissance dont la jeune femme a besoin. Entre toxicité des réseaux sociaux et identité idéalisée, Sissy va rapidement montrer une face sombre de sa personnalité. Et tandis que le décalage entre les deux faces d’elle-même se fait de plus en plus important, le public sombre dans une comédie noire alimentée des tensions palpables, de harcèlement et de pétage de plombs.
Dans le monde rêvé de Sissy, Emma et elle sont unies pour la vie et réalisent leur objectif de petites filles. Visionnant encore des années après, les vieilles cassettes vidéo d’une époque révolue, Cecilia revit en boucle la « trahison » d’Emma et la méchanceté d’Alex mais aussi la terrible violence dont elle a été capable envers celle-ci. Presque hypersensible envers un passé utopique et enfantin, Cecilia n’aura de cesse de vivre dans l’ombre de son ancienne bestie perdue (voiture jaune, cheveux roses… tout ce dont la petite Emma rêvait se transforment alors en de véritables fétiches pour l’influenceuse).
Et lorsque Cecilia comprend que la bestie « officielle » de cette dernière continuera toujours à la rabaisser et à l’humilier quoi qu’elle fasse, elle perd alors son sang-froid. Elle se révèle être aussi possessive et jalouse qu’Alex au sujet d’Emma. Et le plus terrible là-dedans, c’est qu’Emma cherchait avant tout à réunir tout le monde et à rechercher le beau en toute personne, et c’est son ouverture d’esprit qui sera à l’origine de ce tout de bordel…
Dégoutée de la situation et sous pression, Cecilia commet alors l’irréparable… Sissy perd pied et se retranche alors dans le monde qu’elle peut contrôler : les réseaux sociaux. Avec une image idéalisée qui reflète à la fois ses désirs, ses besoins et ses insécurités, elle s’imagine rapidement qu’elle n’a rien fait, que tout ça n’est qu’un terrible concours de circonstances qui légitime sa violence. De moins en moins capable de gérer ses frustrations, la Sissy qui faisait des chichis se métamorphose alors en véritable psychopathe sanglante !
Sissy est un thriller d’horreur sanglant, profondément humain et déluré, mettant en scène les émotions complexes de ces personnages, leurs rêves et leurs déceptions. Bloquée dans son monde imaginaire et numérique, enchainée par une possessivité presque maladive, Sissy est très loin de l’image qu’elle cherche désespérément à se donner. Le trio « infernal » constitué de Cecilia, Alex et Emma s’enlise rapidement dans de vieilles rengaines, traumatiques certes, mais délétères qui pousseront Sissy et Alex vers une escalade de haine et d’agressivité. Impétuosité et déchainements sont les maîtres mots de ce long-métrage indépendant d’une rare qualité aussi bien esthétiquement que dans la construction de sa narration. Cette œuvre à la fois directe et intelligente questionne nos notions d’égo et d’amour-propre ainsi que leurs expressions positives, négatives voire dramatiques pour les autres, mais aussi les dangers des réseaux sociaux dans la construction de relations numériques et parasociales qui dénaturent l’identité. Les dynamiques de pouvoir entre personnages, accentuées par des dialogues cyniques et des séquences de pure barbarie, font de ce film une œuvre troublante qui perturbe son public tant il réussit malgré tout à nous faire ressentir de l’empathie pour sa protagoniste bien psycho.
Retournant la situation à son avantage et ayant enfin obtenu justice (dans son esprit dérangé), Cecilia revient alors sur le devant de la scène avec l’écriture d’un livre nommé Alex Kutis Massacre dans lequel elle revient sur les événements de cette fameuse nuit… C’était une « drôle » de façon de guérir son trauma, mais elle l’a fait ! Sissy est enfin libre…
Au final, Sissy est un film captivant et malaisant au possible. Entre des effets visuels surréalistes, une atmosphère presque onirique, le contraste entre la violence et la légèreté de l’action, et l’absurdité des relations humaines mises en scène, ce métrage nous plonge dans l’état psychologique décalé de son héroïne.





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